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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/394

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une charge de conseiller au grand conseil ; et une place d’intendant du commerce étant venue à vaquer au commencement de 1751, M. de Machault, à qui le mérite de M. de Gournay était aussi très-connu, la lui fit donner. C’est de ce moment que la vie de M. de Gournay devint celle d’un homme public : son entrée au bureau du commerce parut être l’époque d’une révolution. M. de Gournay, dans une pratique de vingt ans du commerce le plus étendu et le plus varié, dans la fréquentation des plus habiles négociants de Hollande et d’Angleterre, dans la lecture des auteurs les plus estimés de ces deux nations, dans l’observation attentive des causes de leur étonnante prospérité, s’était fait des principes qui parurent nouveaux à quelques-uns des magistrats qui composaient le bureau du commerce. — M. de Gournay pensait que tout homme qui travaille mérite la reconnaissance du public. Il fut étonné de voir qu’un citoyen ne pouvait rien fabriquer ni rien vendre sans en avoir acheté le droit en se faisant recevoir à grands frais dans une communauté, et qu’après l’avoir acheté, il fallait encore quelquefois soutenir un procès pour savoir si, en entrant dans telle ou telle communauté, on avait acquis le droit de vendre ou de faire précisément telle ou telle chose. Il pensait qu’un ouvrier qui avait fabriqué une pièce d’étoffe avait ajouté à la masse des richesses de l’État une richesse réelle[1]

  1. C’est un des points sur lesquels la doctrine de M. de Gournay différait de celle de M. Quesnay.

    Celui-ci pensait que la valeur fondamentale de la pièce d’étoffe, la valeur nécessaire pour que sa fabrication ne fût pas abandonnée, était composée :

    1o De celle de la matière première ;

    2o De celle de la portion d’outils usés dans sa fabrication ;

    3o De celle des consommations faites par les ouvriers et par l’entrepreneur qui les met en œuvre, ou dont leurs salaires leur donnent la possibilité ;

    4o De l’intérêt des avances de cet entrepreneur, ou du capital qu’il est obligé de consacrer à cette fabrication.

    Et ces avances, ces consommations, ces salaires, l’achat des matières premières et des instruments, devant avoir eu lieu avant que l’étoffe fût fabriquée, la valeur fondamentale de cette étoffe ne présentait à ses yeux que l’addition des valeurs préexistantes qui avaient concouru à la former, sans accroissement réel de richesses.

    La valeur vénale, ou la valeur au marché, déterminée par les offres et la concurrence des acheteurs, lui paraissait pouvoir être, et dans le fait être souvent différente de la valeur fondamentale ; pouvoir ou l’excéder, ce qui n’avait d’autre effet que de mettre les fabricants, soit ouvriers, soit entrepreneurs, à portée de hausser leurs salaires et d’augmenter leurs jouissances ; ou s’y trouver inférieure, ce qui les obligeait soit à restreindre l’un et l’autre, soit à quitter la profession.

    Dans les ouvrages très-précieux, dont la facture demande de longues et de coû-