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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/56

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moyen pour conserver et distribuer la richesse, et non pour la produire[1].

Au lieu d’examiner sérieusement cette doctrine des premiers économistes, on a feint de croire qu’ils niaient l’utilité du travail industriel, et l’on a mis à contribution toutes les ressources de la logique et de l’éloquence pour leur démontrer que la toile n’était pas moins richesse que le chanvre ou le lin, et qu’on ne cultiverait ni lin, ni chanvre, si l’on ne pouvait en faire de la toile, ou tirer de ces matières quelque autre produit. En vérité, Gournay, Quesnay, Turgot, Condillac, Condorcet, et beaucoup d’autres, n’avaient pas besoin d’une pareille leçon. Lorsque de tels hommes vinrent poser la grave question : Quel est le principe de la richesse ? à une époque où les métaux précieux en étaient réputés la source et où, par suite de ce préjugé, l’industrie manufacturière et le commerce extérieur excitaient seuls la sollicitude des gouvernements, il ne s’agissait sans doute pas, pour ces philosophes, de rechercher si le travail non agricole était ou n’était point indispensable à notre espèce pour pourvoir à l’infinie variété de ses besoins. Interprété en ce sens, le problème n’eût certainement pas mérité l’honneur d’une discussion ; et, puisqu’on l’a discuté beaucoup cependant, il faut bien qu’on ait compris qu’il avait une autre portée. Il est difficile, en effet, de méconnaître que sa solution domine toute la science économique, si cette science a pour objet de demander à la nature des choses la connaissance des lois qui doivent diriger l’application des forces physiques et intellectuelles de l’homme, pour procurer plus de bien-être matériel à tous les membres de la société. Quoiqu’on ait affirmé cent fois le contraire, les peuples n’ont jamais ignoré que le travail fût nécessaire à l’acquisition de la richesse : ce qu’ils ne savaient pas, c’est qu’on pouvait tout à la fois travailler et ne pas s’enrichir, parce qu’on réglait sa conduite en consé-

  1. Voyez sur ce point, Éloge de Gournay, page 266 de ce volume, les observations de Dupont de Nemours.