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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/570

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des villes à la croisée, si j’ose ainsi parler, des grandes communications, au débouché des grandes rivières navigables, la bonté des ports, quelquefois l’industrie des habitants et l’état florissant de certaines fabriques, qui déterminent les grands entrepôts du commerce à s’y placer. C’est ainsi que Nantes est le débouché de la Loire, Rouen de la Seine, Bordeaux des provinces traversées par la Garonne et la Dordogne ; les villes de Hollande et de Zélande, du Rhin, de la Meuse et de l’Escaut ; Hambourg de l’Elbe, Venise du Pô. — Tyr, Carthage, Messine, Gênes, Cadix, n’ont eu pour elles qu’une situation maritime avantageuse. Lyon, Genève, Strasbourg, Orléans, Limoges, sont des entrepôts d’un ordre un peu inférieur. Dans toutes ces villes le commerce, et le commerce de trafic, sont l’occupation dominante des habitants, et chaque ville répond à un district plus ou moins étendu de plusieurs cantons ou provinces dont elle est l’entrepôt, dont elle rassemble les productions, et auxquelles elle distribue leurs besoins. Le territoire et le commerce de ces villes d’entrepôt sont deux corrélatifs nécessaires l’un à l’autre, et la distinction du commerce des productions du sol et du commerce d’entrepôt ou de revendeur, est nulle quand on parle de nations et de régions. Ce n’est pas que certaines villes et côtes maritimes, qui servent d’entrepôt à un commerce étendu, n’aient pu, par le hasard des circonstances, former de petits États politiques séparés du territoire dont elles sont l’entrepôt ; mais ce hasard n’a rien changé à la nature des choses. La Hollande, quel que soit son gouvernement, n’en sera ni plus ni moins le débouché du Rhin, de la Meuse, de l’Escaut et des canaux de la féconde Belgique ; elle n’en sera pas moins un lieu de commerce et d’entrepôt favorable pour tous les ports de l’Angleterre, de la France et des États du Nord, et par conséquent aussi pour la plupart de ceux des autres pays qui veulent entretenir des relations et faire des échanges avec ces différents États, auxquels la Hollande est spécialement nécessaire.

Avoir ainsi des avantages locaux, c’est avoir une sorte de privilège exclusif par rapport aux lieux moins heureusement situés. — En raison de ce privilège naturel, et qui alors n’est pas injuste, on peut recevoir, même avec économie pour ceux qui les payent, des salaires qui excèdent les besoins de ceux qui les gagnent, surtout si ces derniers ont la sagesse de vivre avec épargne, comme font aussi les Hollandais.