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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/61

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térateur. Ce qu’ils voulaient signaler, c’était l’immense différence qui existe entre les résultats du travail agricole et du travail industriel. L’honneur qui leur revient, c’est d’avoir eu l’initiative dans le développement de cette importante proposition : « Appliquez avec intelligence des capitaux à la terre, et vous aurez salaires, profits et rente ; appliquez-les à la manufacture et au commerce, et vous n’aurez que des salaires et des profits. » Pourquoi ? C’est qu’en agriculture, fait observer Turgot, « la nature ne marchande point avec l’homme pour l’obliger à se contenter du nécessaire absolu. Ce qu’elle donne n’est proportionné ni à ses besoins ni à une évaluation conventionnelle du prix de ses journées ; c’est le résultat physique de la fertilité du sol et de la justesse, bien plus que de la difficulté, des moyens qu’il a employés pour le rendre fécond[1]. » C’est, a répété Ad. Smith, que, « dans la culture des terres, la nature travaille conjointement avec l’homme ; et que, quoique son travail né coûte aucune dépense, ce qu’il produit n’en a pas moins sa valeur, aussi bien que ce que produisent les ouvriers les plus chers[2] ; » au lieu que, dans l’industrie, la nécessité veut qu’il y ait toujours balance entre la valeur échangeable (la seule dont la science ait à s’occuper ici) que l’homme ajoute à la matière brute qu’il façonne, ou aux produits qu’il transporte, et la somme de ses consommations, réglées sur la nature de son emploi, pendant la durée du travail[3].

  1. Réflexions sur la formation et la distribution des richesses, $ 7, tom. I, page 11.
  2. Richesse des nations, tome I, page 455. — Nous croyons qu’il serait facile d’établir que la doctrine de Smith ne diffère pas en réalité de celle de Turgot et des physiocrates. Les derniers ne méconnaissaient pas plus la puissance productive du travail, que le premier celle de la terre. L’opinion, prêtée à l’illustre écrivain anglais, que le travail est la source unique de la richesse, est si peu la sienne, que, pour désigner cette même richesse, il se sert habituellement de cette périphrase : le produit annuel de la terre et du travail. Du reste, Mac Culloch et Buchanan conviennent que Smith n’a pas été heureux dans la réfutation qu’il a tentée du système des économistes, (Voyez Richesse des nations, tome II, pages 322 et suivantes, les notes de ces auteurs.)
  3. Croire que l’ouvrier puisse jamais gagner beaucoup plus que sa subsistance, en prenant ce mot dans l’acception que lui donne la langue économique, c’est-à-