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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/615

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de la taille et des autres impositions accessoires, nous a déterminé à rendre notre déclaration du 13 avril dernier, par laquelle nous avons établi une nouvelle forme de procéder, plus sommaire et moins dispendieuse que celle qui a été pratiquée jusqu’ici, par rapport aux oppositions que nos sujets taillables se croiraient fondés à former contre leurs cotes. Nous avons permis, par l’article IV de ladite déclaration, aux sieurs intendants et commissaires départis, conformément aux dispositions de l’édit du feu roi Louis XIV, notre très-honoré seigneur et bisaïeul, du mois d’août 1715, de faire procéder, en présence des officiers des élections, ou autres qu’il

    sions, ventes, échanges ou abandon ; de sorte que les paroisses étaient imposées par des rôles qui n’avaient aucun rapport avec leur situation réelle, et il se trouvait une infinité de fausses taxes et de cotes inexigibles, que les collecteurs étaient néanmoins obligés d’acquitter, sauf à les réimposer l’année suivante, par forme de rejet, sur ce qui restait des anciens contribuables, dont presque aucun n’avait sa propriété dans le même, état où elle avait été vingt-deux ans auparavant.

    « Telle était la situation des deux tiers de la province.

    « L’autre tiers n’avait pas été arpenté. On y avait pour base de la répartition d’anciennes déclarations des propriétaires sur l’étendue et la qualité de leurs héritages, d’après lesquelles on avait estimé qu’ils devaient porter telle ou telle part de l’imposition. Les héritages avaient tous varié dans cette partie de la province, comme dans l’autre qui avait été arpentée, et l’on avait encore moins de moyens d’y suivre les mutations de propriété.

    « On avait, d’ailleurs, dans cette partie de la province, confondu parmi les objets de revenu, les bestiaux même de labour, qui ne sont qu’un instrument dispendieux pour le faire naître, et tous les bestiaux y étaient soumis à une imposition par tête.

    « Cependant, comme les anciens propriétaires avaient eu grand soin de faire leurs déclarations fautives, il y avait moins de murmures dans cette partie de la province que dans celle qu’on avait arpentée, où l’arpentement, si le reste de l’opération eût été bien fait, devait offrir une règle plus équitable et plus solide.

    « On avait présumé la fausseté des déclarations, et l’on avait été conduit, par la vraisemblance de leur infidélité, à établir des taux différents pour les deux parties de la province. Dans la partie arpentée, les profits particuliers de ferme étaient taxés à 2 deniers pour livre, et dans la partie non arpentée, à 4 deniers. On se servait de la même raison pour justifier l’imposition par tête du bétail étendue jusques sur les bestiaux de labour. Cette imposition ne s’appliquait dans la partie arpentée qu’aux troupeaux et aux bestiaux qu’on engraisse pour les vendre.

    « En tout, la plus profonde ignorance de la vraie situation des contribuables était générale ; on n’avait pas le moindre élément pour juger de leurs réclamations et de leurs plaintes. MM. les intendants, assiégés par ceux qui trouvaient accès ou crédit auprès d’eux, ne pouvaient que céder aux demandes, toujours plausibles, mais dont la justice était toujours impossible à vérifier ; et le plus grand nombre des malheureux, ne pouvant ni se faire entendre, ni, quand on les eût écoutés, prouver, dans cette obscurité universelle, que leurs réclamations fussent bien fondées, tombaient dans un découragement absolu. » (E. D.)