Aller au contenu

Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/704

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grande partie de ceux de l’élection de Limoges, de Tulle et de Bourganeuf, où ce genre de grains est presque le seul qu’on cultive, et fait la principale nourriture du peuple et même des bourgeois médiocrement aisés, ont été atteints par cette gelée. Cette perte mérite d’autant plus d’attention, que cette année sera la troisième où la récolte du seigle aura été très-mauvaise en Limousin, puisque depuis deux ans le prix de ce grain s’y est soutenu entre 15 et 18 fr. le setier, mesure de Paris, quoique le prix ordinaire n’y soit que d’environ 9 francs.

Les provinces qui cultivent le froment n’ont point participé à ce fléau, qui se trouve particulier à une province pauvre, à cause de sa pauvreté même ; et malheureusement le prix du froment est trop considérable pour que les peuples du Limousin puissent trouver une ressource dans l’abondance des provinces voisines. Le Limousin doit donc être distingué parmi les provinces méridionales, parce que, outre la perte des vins qu’il partage avec elles, il a de plus perdu la plus grande partie de ses récoltes de grains, et parce qu’il mérite à ce titre un plus grand soulagement.

Mais il est un troisième malheur encore plus fâcheux que le Limousin a éprouvé cette année : c’est la perte presque entière de ses fourrages. La gelée de Pâques avait beaucoup endommagé la pointe des herbes, et la sécheresse du printemps a achevé de tout détruire ; la première coupe des foins a été à peu près nulle, et le regain très-médiocre. Le prix des fourrages est au-dessus de 4 fr. le quintal. Cette perte pourrait être commune à d’autres provinces, et n’y pas produire des effets aussi funestes qu’en Limousin.

Ce qui la rend inappréciable, c’est l’influence qu’elle a sur l’engrais et le commerce des bestiaux, qui sont la principale richesse du Limousin, la source presque unique des revenus des propriétaires, et la seule voie par laquelle l’argent qui en sort, chaque année, pour le payement des impositions, puisse y rentrer.

La situation où se trouve ce commerce par la disette de fourrages est très-alarmante. M. le lieutenant de police nous a donné avis que les derniers marchés pour l’approvisionnement de Paris avaient été, contre l’usage, remplis de bœufs limousins, et m’a ajouté qu’on l’avait instruit que les envois continueraient toutes les semaines. Ce n’est ordinairement qu’au mois de novembre que les bœufs du Limousin viennent à Paris, que cette province continue d’approvisionner en