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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/724

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vince, et de la situation où la laisse la disette de l’année dernière, nous ne doutons point que, quand même la récolte de cette année serait abondante, l’épuisement des habitants n’exigeât les plus grands soulagements, et ne les obtînt de l’amour du roi pour ses peuples ; que sera-ce si nous y ajoutons le récit plus funeste encore des maux que lui présage le vide de la récolte actuelle ! Nous avons fait voir dans l’état que nous en avons envoyé au Conseil, que dans les deux tiers de la généralité, et malheureusement dans la partie la plus pauvre et la moins à portée de tirer des secours du dehors, la récolte des seigles n’a pas été meilleure en 1770 qu’en 1769 ; que ce qu’on a recueilli de plus en châtaignes et en blé noir ne suffit pas pour remplacer le vide absolu de toutes réserves sur les années antérieures, puisque ces réserves sont épuisées, au point que non-seulement on a commencé à manger la moisson actuelle au moment où on la coupait, c’est-à-dire trois mois plus tôt qu’à l’ordinaire, mais encore que la faim a engagé à couper des blés verts pour en faire sécher les grains au four. Ce n’est pas tout, il faut compter que le quart de la généralité n’a pas même cette faible ressource. La production des grains y a été du tiers à la moitié de celle de 1769 ; et dans la plus grande partie de ce canton l’on n’a pas recueilli la semence. On ne peut penser sans frémir au sort qui menace les habitants de cette partie de la province déjà si cruellement épuisés par les malheurs de l’année dernière. De quoi vivront des bourgeois et des paysans qui ont vendu leurs meubles, leurs bestiaux, leurs vêtements pour subsister ? Avec quoi les secourront, avec quoi subsisteront eux-mêmes des propriétaires qui n’ont rien recueilli, qui ont même pour la plupart acheté de quoi semer, et qui, l’année précédente, ont consommé au delà de leur revenu pour nourrir leurs familles, leurs colons et leurs pauvres ? On assure que plusieurs domaines dans ce canton désolé n’ont pointété ensemencés faute de moyens. Comment les habitants de ces malheureuses paroisses pourront-ils payer des impôts ? comment pourront-ils ne pas mourir de faim ? Telle est pourtant leur situation sans exagération aucune.

Nous savons combien les besoins de l’État s’opposent aux intentions bienfaisantes du roi, les peuples sont pénétrés de reconnaissance pour les dons qu’il a faits en 1770 à la province ; mais de nouveaux malheurs sollicitent de nouveaux bienfaits, et nous ne craindrons point de paraître importuns et insatiables en les lui de-