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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/794

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tons où le blé manque, que du blé qu’on y transporte des lieux où il est le plus abondant, ou de celui qu’on a gardé de la récolte des années meilleures.

Il faut donc que le transport et le magasinage des grains soient entièrement libres, car, si les habitants d’une ville particulière s’arrogent le droit d’empêcher qu’on ne transporte les grains ailleurs, les autres villes croiront avoir le même droit, et les lieux où la disette est le plus grande n’étant plus secourus par les autres, seront condamnés à mourir de faim. Si les négociants qui font des magasins de blé sont exposés aux insultes, aux violences de la populace ; si les magistrats autorisent par leurs soupçons, par des recherches indiscrètes, par des injonctions de vendre à bas prix, le préjugé du peuple contre ce commerce ; si ceux qui l’entreprennent ne peuvent compter sur un profit certain qui les dédommage des frais de garde, du déchet, de l’intérêt de leur argent, personne ne voudra s’y livrer ; les grains superflus se perdront dans les années abondantes, et l’on en manquera totalement dans les années de disette. C’est aussi ce qu’on a vu arriver quand les entraves que la police avait mises au commerce des grains subsistaient. Il, y avait en France une famine presque tous les dix ans, tandis qu’en Angleterre, où ce commerce était non-seulement libre, mais encouragé, à peine en a-t-on eu une en cent ans.

Que prétend le peuple dans son aveugle emportement ? qu’on oblige les marchands à vendre à bas prix ? qu’on les force à perdre ? En ce cas, qui voudra lui apporter du grain ? Les pavés des villes n’en produisent pas ; bientôt, à la place de la cherté, ce sera la famine qu’on éprouvera.

Dans les petites villes où les propriétaires des terres rassemblent quelquefois les produits de leurs récoltes, c’est sur eux que tombe directement le cri populaire. Mais, si ce cri était écouté, si on forçait les propriétaires de vendre à un prix moindre que celui qu’ils trouveraient de leurs grains dans les lieux où ils sont plus rares ; alors, en privant des secours qu’ils ont droit d’attendre ceux qui souffrent le plus de la disette, on priverait les propriétaires de leur bien, de leur revenu, et en diminuant la valeur des récoltes, on découragerait la culture. Le peuple raisonne comme s’il n’en coûtait rien pour labourer, pour semer, pour moissonner. Mais il n’en est pas ainsi. Si le laboureur, compensation faite de la quantité et de la