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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/249

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les pays où l’on ne laboure et l’on ne voiture qu’avec des bœufs, et toujours moins onéreuse que celle que l’on exige des journaliers. Celle-ci est si dure, que, si on eût voulu l’établir dans les environs de la capitale, elle eût excité une réclamation si forte, que le roi aurait nécessairement partagé l’indignation publique. Mais ce qui se passe dans les provinces fait toujours moins d’impression, parce qu’il est toujours plus facile de déguiser les faits, ou de les justifier par différents prétextes.

Lorsque j’eus l’honneur de lire à Votre Majesté, il y a plus d’un an, dans son Conseil, un premier Mémoire sur la suppression des corvées[1], son cœur parut la décider sur-le-champ, et sa résolution devint aussitôt publique. Le bruit s’en répandit dans les provinces. De ce moment, il est devenu impossible de ne pas supprimer les corvées ; car comment Votre Majesté retirerait-elle à ses peuples un bienfait qui leur a été annoncé, et qui a déjà été reçu, dans toutes les parties du royaume, avec les transports de la plus vive reconnaissance. Non, Sire, jamais les corvées ne pourront être commandées en votre nom.

La suppression des corvées une fois décidée, il est également impossible de ne pas y suppléer par une imposition en argent, car il faut bien que les chemins se fassent.

Votre Majesté reconnaît la justice de charger de cette imposition les propriétaires des terres : c’est donc sur eux qu’il faut l’établir.

Cette imposition est susceptible de difficultés ; mais, quand une chose est reconnue juste, quand elle est d’une nécessité absolue, il ne faut pas s’arrêter à cause des difficultés : il faut les vaincre.

La première de ces difficultés consiste dans la répugnance qu’ont en général les privilégiés à se soumettre à une charge, nouvelle pour eux, que les taillables ont jusqu’ici supportée seuls.

Tous ceux qui ont à délibérer sur l’enregistrement de la loi sont privilégiés, et l’on ne peut pas se flatter qu’ils soient tous au-dessus de cet intérêt personnel, qui n’est cependant pas fort bien entendu. Il est vraisemblable que ce motif influera secrètement sur une grande partie des objections qui seront faites. Il n’y aura même pas lieu d’être surpris que plusieurs avouent publiquement ce motif, ni même qu’ils trouvent des raisons savantes et spécieuses pour le colorer. La solution de cette difficulté est dans la justice de Votre Ma-

  1. Nous n’avons pas retrouvé ce Mémoire. (Note de Dupont de Nemours.)