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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/252

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Majesté croyait pouvoir assurer à ses peuples que cette contribution ne serait jamais portée au delà de dix millions pour la totalité des pays d’élection, et j’espère qu’elle pourra être moindre.

Votre Majesté a vu d’ailleurs, dans le projet qu’elle a sous les yeux, les précautions qu’on a prises pour assurer que les fonds de cette contribution ne pourront jamais être détournés de leur objet. La plus forte de ces précautions est d’avoir rendu l’imposition variable, de s’être assujetti à en fixer chaque année le montant par un nouvel état arrêté au Conseil, à rendre cette fixation publique par le dépôt aux greffes du Parlement, de la Chambre des comptes et du Bureau des finances. Cette publicité est un frein sans doute, mais je dois avouer à Votre Majesté qu’il n’est aucune barrière entièrement insurmontable au pouvoir absolu ; aussi compté-je bien moins sur ces précautions que sur le soin que j’ai pris, dans le préambule de cette loi, de démontrer deux choses : l’une, que la corvée est incomparablement plus coûteuse que l’imposition ; l’autre, qu’elle est essentiellement injuste.

Ce préambule est très-long. Parmi un assez grand nombre de personnes éclairées à qui je l’ai fait lire, les unes ont été vivement frappées de cette impression ; d’autres, en qui j’ai beaucoup de confiance aussi, ont cru que cette longueur était nécessaire. J’ai l’expérience que cette longueur frappe toujours moins dans l’imprimé que dans le manuscrit ; et le préambule de l’arrêt du 13 septembre 1774, sur la liberté des grains, qui avait de même paru très-long, a réussi assez généralement.

Je m’attends à être fort critiqué, et je crains peu ces critiques, parce qu’elles ne tombent que sur moi ; mais il me paraît très-important de donner aux lois que Votre Majesté porte pour le bien de ses peuples, ce caractère de raison et de justice qui peut seul les rendre durables.

Votre Majesté règne par son pouvoir sur le moment présent. Elle ne peut régner sur l’avenir que par la raison qui aura présidé à ses lois, par la justice qui en sera la base, par la reconnaissance des peuples. Puisque Votre Majesté ne veut régner que pour faire du bien, pourquoi n’aurait-elle pas l’ambition de régner après elle par la durée de ce bien ?

Le préambule que je propose à Votre Majesté sera fortement critiqué comme mon ouvrage, et l’on saisira tous les côtés par lesquels