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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/291

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Suite des observations du garde des sceaux. — Il y a en France trois grands ordres, le clergé, la noblesse et le tiers-état. Chacun de ces ordres a ses droits, ses privilèges, peut-être ses préjugés ; mais enfin il est nécessaire de les conserver tels qu’ils sont. Y donner atteinte, c’est risquer d’affaiblir dans le cœur des sujets le sentiment d’intérêt et d’amour qu’il faut qu’ils aient tous pour le souverain.

Ce sentiment s’affaiblit nécessairement, lorsqu’il paraît vouloir priver chacun des droits et des privilèges dont il est en possession de tout temps. D’ailleurs les privilèges du clergé, quelque considérables qu’ils soient, ne l’empêchent pas de contribuer autant que les autres ordres aux besoins de l’État. Il n’a jamais ou presque jamais emprunté que pour payer les dons gratuits qu’il donne au roi tous les cinq ans, et les dons extraordinaires, qu’il n’a jamais refusés lorsque les circonstances l’ont exigé. Les rentes dont ces emprunts ont chargé le clergé sont si considérables, qu’elles exigent de la part des bénéficiers un service annuel de décimes, qui monte bien plus haut que le dixième des autres propriétaires.

Les fermiers des ecclésiastiques payent la taille et les autres impositions, et afferment par conséquent les terres des ecclésiastiques moins chèrement à proportion.

Les gens d’église payent les impôts et les consommations comme tous les autres sujets du roi. Ainsi je ne crois pas que l’on puisse bien établir que l’ordre ecclésiastique contribue moins que les autres aux charges de l’État.

Lorsqu’il survient une guerre, une assemblée extraordinaire du clergé fournit dans l’instant même un don gratuit qui met le roi en état de faire plus promptement les avances de la première campagne.

Toutes ces considérations méritent attention, et il me semble qu’elles concourent à faire penser qu’il est intéressant pour le roi de ne point donner atteinte aux privilèges du clergé.

Les curés ont ordinairement beaucoup de charges et le plus souvent peu de revenu ; il me semble bien dur de les faire payer pour l’emplacement de leurs presbytères et pour les terres qui sont attachées à leurs bénéfices.

Les fabriques qui ont des terres et des rentes ne sont pas non plus dans le cas d’être imposées.

Ces revenus sont destinés aux dépenses nécessaires pour la célébration du service divin et pour l’entretien des églises. Ils doivent par conséquent conserver la franchise dont ils ont toujours joui.

Les religieux et les bénéficiers simples pourraient au premier coup d’œil paraître moins favorables ; mais il faut observer qu’ils contribuent aux charges du clergé de France, qu’ils en font partie.

D’ailleurs comment évaluer les lieux claustraux, les palais épiscopaux, les maisons abbatiales, etc. ?

Les dîmes ecclésiastiques sont exemptes, il est vrai ; mais il est juste que les dîmes inféodées, qui sont dans les mains des seigneurs laïques, soient imposées comme leurs autres revenus ; et il serait bon d’expliquer ce que l’on entend par dîme ecclésiastique.

Les gens d’église possèdent différentes espèces de dîmes, les unes qui sont purement ecclésiastiques, et qui sont établies de tout temps pour former la subsistance des ministres de l’Église ; les autres qui sont attachées à des fiefs, et dont les bénéficiers ne jouissent que parce que les fiefs leur ont été anciennement aumônés.