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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/302

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sère et la faim, pour les faire travailler au profit de citoyens plus riches qu’eux !

Une erreur tout opposée a souvent engagé l’administration à sacrifier les droits des propriétaires au désir mal entendu de soulager la partie pauvre des sujets, en assujettissant par des lois prohibitives les premiers à livrer leur propre denrée au-dessous de sa véritable valeur.

Ainsi, d’un côté, l’on commettait une injustice contre les propriétaires pour procurer aux simples manouvriers du pain à bas prix, et de l’autre on enlevait à ces malheureux, en faveur des propriétaires, le fruit légitime de leurs sueurs et de leur travail. On craignait que le prix des subsistances ne montât trop haut pour que leurs salaires pussent y atteindre ; et en exigeant d’eux gratuitement un travail qui leur eût été payé, si ceux qui en profitent en eussent supporté la dépense, on leur ôtait le moyen de concurrence le plus propre à faire monter ces salaires à leur véritable prix.

C’était blesser également les propriétés et la liberté des différentes classes de nos sujets ; c’était les appauvrir les uns et les autres, pour les favoriser injustement tour à tour. C’est ainsi qu’on s’égare, quand on oublie que la justice seule peut maintenir l’équilibre entre tous les droits et tous les intérêts. Elle sera dans tous les temps la base de notre administration ; et c’est pour la rendre à la partie de nos sujets la plus nombreuse, et sur laquelle le besoin qu’elle a d’être protégée fixera toujours notre attention d’une manière plus particulière, que nous nous sommes hâté de faire cesser les corvées dans toutes les provinces de notre royaume.

Nous n’avons cependant pas voulu nous livrer à ce premier mouvement de notre cœur, sans avoir examiné et apprécié les motifs qui ont pu engager nos prédécesseurs à introduire et à laisser subsister un usage dont les inconvénients sont si évidents.

On a pu penser que, la méthode des corvées permettant de travailler à la fois sur toutes les routes dans toutes les parties du royaume, les communications seraient plus tôt ouvertes, et que l’État jouirait plus promptement des richesses dues à l’activité du commerce et à l’augmentation de valeur des productions.

L’expérience n’a pas dû tarder à dissiper cette illusion. On a bientôt vu que quelques-unes des provinces où la population est le moins nombreuse, sont précisément celles où la confection des chemins,