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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/303

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par la nature du pays et du sol, exige des travaux immenses, qu’on ne peut se flatter d’exécuter avec un petit nombre de bras, sans y employer peut-être plus d’un siècle.

On a vu que, dans les provinces même plus remplies d’habitants, il n’était pas possible, sans accabler les peuples et sans ruiner les campagnes, d’exiger des corvoyeurs un assez grand nombre de journées pour exécuter en peu de temps aucune partie considérable de chemin.

On a éprouvé que les corvoyeurs ne pouvaient donner utilement leur temps, sans être conduits par des employés intelligents qu’il fallait payer ; que les fournitures d’outils, leur renouvellement, les frais de magasins, entraînaient des dépenses considérables, proportionnées à la quantité d’hommes employés annuellement.

On a senti que, sur une longueur déterminée de chemins construits par corvée, il devait se rencontrer plusieurs ouvrages indispensables, tels que des ponts, des escarpements de rochers, des murs de terrasses, qui ne pouvaient être construits que par des hommes d’art et à prix d’argent ; que par conséquent l’on hâterait sans fruit la construction des ouvrages de corvée, si l’impossibilité d’avancer en même proportion les ouvrages d’art laissait les chemins interrompus et inutiles au public.

On s’est enfin convaincu que la quantité d’ouvrages faits annuellement par corvée avait, avec la quantité d’ouvrages d’art que permettait chaque année la disposition des fonds des ponts et chaussées, une proportion nécessaire, qu’il était ou impossible ou inutile de passer : que dès lors on se flatterait vainement de faire à la fois tous les chemins, et que ce prétendu avantage de la corvée se réduirait à pouvoir commencer en même temps un grand nombre de routes, sans faire réellement plus d’ouvrage que l’on n’en ferait par la méthode des constructions à prix d’argent, dans laquelle on n’entreprend une partie que lorsqu’une autre est achevée, et que le public peut en jouir.

L’état où sont encore les chemins dans la plus grande partie de nos provinces, et ce qui reste à faire en ce genre, après tant d’années pendant lesquelles les corvées ont été en vigueur, prouvent combien il est faux que ce système puisse accélérer la confection des chemins.

On s’est aussi effrayé de la dépense qu’entraînerait la confection des chemins à prix d’argent.