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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/363

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Cet esprit exclusif a dû varier dans ses effets, suivant les lieux et suivant les temps.

Dans nos provinces méridionales plus fertiles en vins, où cette denrée forme, en un grand nombre de lieux, la production principale du territoire, la prohibition réciproque du débit des vins appelés étrangers est devenue d’un usage presque universel, et le droit que se sont arrogé à cet égard presque toutes les villes particulières s’est exercé tellement sans contradiction, que le plus grand nombre n’a pas cru avoir besoin de recourir à nos prédécesseurs pour en obtenir la confirmation, et que plusieurs n’ont même pensé que dans ces derniers temps à se faire donner, par des arrêts de nos cours, une autorisation qui n’eût pu, en aucun cas, suppléer à la nôtre.

L’importance et l’étendue du commerce de Marseille, la situation du port de Bordeaux, entrepôt naturel et débouché nécessaire des productions de plusieurs provinces, ont rendu plus sensible l’effet des restrictions que ces deux villes ont mises au commerce des vins, et le préjudice qui en résultait pour le commerce en général. Ces villes, dont les prétentions ont été plus combattues, ont employé plus d’efforts pour les soutenir.

Il n’est pas étonnant que, dans des temps où les principes de la richesse publique et les véritables intérêts des peuples étaient peu connus, les princes, qui avaient presque toujours besoin de ménager les villes puissantes, se soient prêtés avec trop de condescendance à confirmer ces usurpations, qualifiées de privilèges, sans les avoir auparavant considérées dans tous leurs rapports avec la justice due au reste de leurs sujets, et avec l’intérêt général de l’État.

Les privilèges dont il s’agit n’auraient pu soutenir, sous ce double point de vue, l’examen d’une politique équitable et éclairée ; ils n’auraient pas même pu lui offrir la matière d’un doute.

En effet, les propriétaires et les cultivateurs étrangers au territoire privilégié, sont injustement privés du droit le plus essentiel de leur propriété, celui de disposer de la denrée qu’ils ont fait naître.

Les consommateurs des villes sujettes à la prohibition, et ceux qui auraient pu s’y approvisionner par la voie du commerce, sont injustement privés du droit de choisir et d’acheter, au prix réglé par le cours naturel des choses, la denrée qui leur convient le mieux.