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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/383

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excellent homme, qu’on pourrait presque l’excuser d’avoir oublié les précautions que réclamaient la sagesse et l’humanité ; commandé comme il était par la nécessité de faire rentrer dans les coffres du roi les deniers des impositions, que la rapine et la négligence dispersaient en mille manières, sans que les peuples en fussent aucunement soulagés. D’ailleurs, je dois dire pour sa justification que cette loi pouvait être alors fondée sur une forme adoptée dans le recouvrement des impositions qui ne subsiste plus aujourd’hui, et que l’apparence de la dureté et de l’injustice pouvait en ce cas paraître tenir à un principe non pas entièrement dénué d’équité.

Votre Majesté sait que la taille est imposée d’après des principes entièrement différents de ceux qu’on a depuis suivis dans l’imposition du dixième et du vingtième. Le vingtième est une quotité déterminée du revenu de chaque contribuable dont la cote est fixée directement par l’autorité royale, d’après la connaissance qu’on peut se procurer de ses revenus, par le moyen des directeurs, contrôleurs, et autres préposés à l’assiette de cette imposition. Cette cote est indépendante de la cote des autres contribuables, en sorte que, dans le débat sur le plus ou le moins, chaque particulier n’a à discuter qu’avec l’homme du roi, et que le roi a pour ainsi dire, par ses préposés, un procès avec chaque propriétaire de son royaume. Il résulte de là que le produit total de cette imposition ne peut jamais être connu avec une entière précision ; car, si le contrôleur des vingtièmes s’est trompé en évaluant trop haut les revenus d’un ou de plusieurs particuliers, il faut bien, pour leur rendre justice, diminuer leur imposition, et c’est autant de retranché sur la somme totale du rôle. Si un contribuable éprouve des accidents sur ses récoltes, si par toute autre cause il est hors d’état de payer, il faut bien que le roi perde le montant de son imposition. Si le préposé au recouvrement des vingtièmes dissipe les deniers perçus et fait banqueroute, c’est encore le roi qui perd, car les autres contribuables, ayant chacun payé la portion de leur revenu qu’ils doivent, sont quittes envers le roi ; il n’y a aucun prétexte pour leur demander ce que tel ou tel n’a pas payé, ni aucun prétexte pour rendre la communauté responsable des non-valeurs ni de la dissipation du préposé au recouvrement.

Il en est tout autrement de la taille. Ce n’est point à chaque taillable que Votre Majesté demande directement ce qu’il aura à