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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/505

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ment oseraient-ils prendre sur eux de décider du sort de leurs sujets, de leur bonheur ou de leur malheur pendant une éternité entière ? Tout homme, dans les principes de la religion, a son âme à sauver ; il a toutes les lumières de la raison et de la révélation pour trouver les voies du salut ; il a sa conscience pour appliquer ces lumières ; mais cette conscience est pour lui seul. Suivre la sienne est le droit et le devoir de tout homme, et nul homme n’a droit de donner la sienne pour règle à un autre. Chacun répond pour soi devant Dieu, et nul ne répond pour autrui.

Cela est d’une telle évidence qu’on croirait perdre son temps à le prouver, si les illusions contraires n’avaient aveuglé pour ainsi dire la plus grande partie du genre humain, si elles n’avaient pas inondé la terre de sang, si elles ne faisaient pas encore aujourd’hui des millions de malheureux. La patience ne doit donc pas se lasser, et je vais encore présenter le même raisonnement sous une autre face.

Il ne peut y avoir droit de commander sur quoi que ce soit, s’il n’y a en même temps de la part de celui qui reçoit le commandement, devoir d’obéir. Or, s’il y a une religion vraie, non-seulement il n’y a pas devoir d’obéir au prince qui commande une religion différente de celle que dicte la conscience, mais il y a, au contraire, devoir de lui désobéir, devoir rigoureusement imposé par la Divinité, devoir dont, suivant la religion que Votre Majesté professe, la violation sera punie par une éternité de supplices. Donc, sur les matières de religion, le prince ne peut avoir droit de commander. Devoir de désobéir d’un côté, et droit de commander de l’autre, seraient une contradiction dans les termes.

Les défenseurs de l’intolérance diront-ils que le prince n’a droit de commander que quand sa religion est vraie, et qu’alors on doit lui obéir ? Non, même alors, on ne peut ni ne doit lui obéir ; car si l’on doit suivre la religion qu’il prescrit, ce n’est pas parce qu’il le commande, mais parce qu’elle est vraie ; et ce n’est pas ni ne peut être parce que le prince la prescrit qu’elle est vraie. Il n’y a aucun homme assez absurde pour croire une religion vraie par une pareille raison. Celui donc qui s’y soumet de bonne foi n’obéit pas au prince, il n’obéit qu’à sa conscience ; et l’ordre du prince n’ajoute, ni ne peut ajouter aucun poids à l’obligation que cette conscience lui impose. Que le prince croie ou ne croie pas une religion, qu’il commande ou ne commande pas de la suivre, elle n’en est ni plus ni moins ce