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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/506

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qu’elle est, ou vraie ou fausse. L’opinion du prince est donc absolument étrangère à la vérité d’une religion, et par conséquent à l’obligation de la suivre : le prince n’a donc, comme prince, aucun droit de juger, aucun droit de commander à cet égard ; son incompétence est absolue sur les choses de cet ordre, qui ne sont point de son ressort, et dans lesquelles la conscience de chaque individu n’a et ne peut avoir que Dieu seul pour juge.

Quelques théologiens disent : « Nous convenons que le prince n’a pas le droit de juger de la religion, mais l’Église a ce droit, et le prince soumis à l’Église ordonne de se conformer à ses jugements. Il ne juge point, mais ordonne qu’on se soumette à un jugement légitime. » Comme ce raisonnement a été fait et se fait encore sérieusement, il faut y répondre sérieusement.

L’Église a le droit déjuger des choses de la religion, oui, sans doute ; elle a le droit d’exclure de son sein, de dire anathème à ceux qui refusent de se soumettre à ses décisions ; ces décisions obligent la conscience, ce que l’Église lie et délie sur la terre sera lié et délié au ciel. — Mais l’Église n’est point une puissance temporelle ; elle n’a ni droit ni pouvoir de punir sur la terre ; ses anathèmes sont la dénonciation des peines que Dieu réserve dans l’autre vie à l’obstination des réfractaires.

Le prince, s’il est catholique, est enfant de l’Église ; il lui est soumis ; mais c’est comme homme dans les choses qui intéressent sa religion, son salut personnel. Comme prince, il est indépendant de la puissance ecclésiastique. L’Église ne peut donc lui rien ordonner en tant qu’il est prince, mais seulement en tant qu’il est homme, et comme ce n’est qu’en qualité de prince qu’il obligerait ses sujets à se soumettre au jugement de l’Église, il s’ensuit que l’Église ne peut lui faire un devoir d’employer son autorité pour les y obliger. Elle ne peut pas lui en donner le droit, d’abord parce qu’elle ne l’a pas, mais encore parce que le prince, comme prince, non-seulement ne connaît point la supériorité de l’Église, mais parce qu’il n’a pas même de compétence pour juger quels sont les droits de l’Église, ni que telle société est la vraie Église. Y a-t-il une Église infaillible ? La société des chrétiens unis au pape est-elle cette Église ? Voilà précisément la question qui divise toute l’Europe en deux parties à peu près égales, ou la question à juger entre les protestants et les catholiques. Il y en a même une autre à juger en-