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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/522

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quoi ne manquent jamais les marchands, qui font toujours entrer les impôts dans leurs factures, comme las autres fonds qu’ils emploient à leur commerce, et se les font rembourser de même, ordinairement avec dix pour cent de profit, et quelquefois sur un pied plus haut, si leur commerce est d’une nature plus avantageuse. — Mais, lorsque l’espoir de soumettre leurs bénéfices à une contribution engage à hausser l’impôt jusqu’à leur ôter cette faculté de se faire donner un profit au delà de son remboursement, et jusqu’à déranger ainsi leur commerce en les privant du gain sur lequel ils ont spéculé, gain qui doit être proportionné au capital qu’ils déboursent, ils abandonnent leurs entreprises et le pays.

Il n’en est pas de même des propriétaires du sol. Ils tiennent au territoire par leur propriété. Ils ne peuvent cesser de prendre intérêt au canton où elle est placée. Ils peuvent la vendre, il est vrai ; mais alors ce n’est qu’en cessant d’être propriétaires qu’ils cessent d’être intéressés aux affaires du pays, et leur intérêt passe à leur successeur : de sorte que c’est la possession de la terre qui non-seulement fournit, par les fruits et les revenus qu’elle produit, les moyens de donner des salaires à tous ceux qui en ont besoin, et place un homme dans la classe des payeurs, au lieu d’être dans la classe des gagistes de la société ; mais que c’est elle encore qui, liant indélébilement le possesseur à l’État, constitue le véritable droit de cité.

Il semble donc, sire, qu’on ne peut légitimement accorder l’usage de ce droit ou la voix dans les assemblées des paroisses, qu’à ceux qu’on y reconnaît propriétaires de biens-fonds.

Ce point accordé, il s’élève une autre question fort importante, qui est de savoir si tous les propriétaires de biens-fonds doivent avoir voix, et voix au même degré.

Je crois que Votre Majesté pourrait décider cette question d’après quelques considérations.

La division naturelle des héritages fait que celui qui suffirait à peine pour une seule famille, est partagé entre cinq ou six enfants ; et chacune des portions dévolues à ceux-ci est encore très-souvent subdivisée entre cinq ou six autres.

Ces enfants et leurs familles alors ne subsistent plus de la terre. Ils louent comme ils peuvent leur petite propriété très-insuffisante pour leurs besoins les plus essentiels, et se livrent aux arts, aux métiers, au commerce, à la domesticité, à toutes les façons de gagner