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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/523

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salaire aux dépens des propriétaires fonciers. C’est par leur travail que ces nouveaux chefs de famille, déshérités pour ainsi dire par la terre, parviennent à subsister. Ils appartiennent principalement à la classe salariée. Celle des propriétaires de fonds à laquelle ils ne tiennent que par quelques perches déterre, souvent sans culture et sans valeur, ne peut les réclamer qu’en très-petite partie. Il n’est pas naturel que de tels hommes aient voix comme le propriétaire de cinquante mille livres de rentes en biens-fonds. Il n’est pas naturel qu’on puisse acquérir le droit complet de suffrage, le droit parfait de cité, en achetant un petit terrain sur lequel un citoyen ne peut subsister. Nous avons remarqué plus haut l’inconvénient grave d’accorder voix dans les assemblées politiques à des gens trop dénués de fortune. À Dieu ne plaise que je conseille jamais à Votre Majesté d’ouvrir une porte par où la corruption vénale pût pénétrer jusque dans les campagnes ! Il en faudrait cent pour qu’elle sortît de la ville et de la cour.

J’estimerais donc que l’homme qui n’a pas en fonds de terre de quoi faire subsister sa famille, ne peut pas être regardé comme un propriétaire chef de famille, ni par conséquent avoir de voix en cette qualité. Mais cet homme cependant, s’il possède un fonds quelconque, quoique insuffisant pour soutenir sa maison, est intéressé pour sa part à la bonne répartition des impositions et à la bonne administration des services et des travaux publics de son canton, en raison au moins de sa petite propriété foncière. On ne peut pas lui donner voix pleine ; on ne peut pas lui refuser entièrement voix. Ce n’est pas, si l’on peut dire ainsi, un citoyen tout entier : c’est une fraction plus ou moins forte de citoyen.

J’appellerais un citoyen entier, un franc tenancier, un homme à qui l’on peut donner, ou plutôt chez qui l’on doit reconnaître le droit éminent de cité, celui qui posséderait une propriété foncière dont le revenu suffirait à l’entretien d’une famille, car celui-là est ou pourra être chef de famille quand il lui plaira. Il est de droit ce que les Romains nommaient Pater familias. Il a feu et lieu déterminés ; il tient au sol, et y tient la place d’une famille. Dans l’état actuel du prix des denrées et des services, cela suppose au moins 600 livres de revenu net en terres, ou la valeur d’environ 30 setiers de blé[1]. Celui qui n’a que 300 livres de revenu ne doit compter que

  1. Depuis trente-trois ans que ceci est écrit, la valeur de l’argent a baissé ; celle