Aller au contenu

Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/585

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un double danger également important à éviter. Le premier est de mettre l’Angleterre dans le cas d’envoyer de son côté des forces navales en Amérique. Dans l’état actuel, les Anglais n’ayant qu’un seul vaisseau de ligne en Amérique, et des frégates et autres bâtiments légers répandus sur toute l’étendue des côtes du continent, une escadre de six ou huit vaisseaux de ligne envoyée dans des vues hostiles suffirait pour enlever presque tous ces bâtiments faibles et dispersés. Le ministère anglais ne pourrait, sans imprudence, s’exposer à ce risque ; il serait forcé, pour assurer ses opérations, d’envoyer une escadre supérieure aux nôtres. — L’inquiétude ne manquerait pas de se répandre dans la nation ; l’Angleterre armerait dans tous ses ports, et chercherait à se mettre partout en état de défense. Peut-être l’apparence d’une guerre produirait-elle le même effet que la guerre elle-même, en donnant à la métropole le même prétexte de se relâcher de la rigueur des lois qu’elle veut imposer aux Américains, et à ceux-ci les mêmes motifs d’accepter les propositions du ministère. Nos efforts n’auraient donc servi qu’à provoquer le danger que nous devons chercher à éloigner ou à éviter.

Le second danger est de donner à l’Espagne la confiance et les moyens de nous entraîner malgré nous dans des projets hostiles. J’ai déjà indiqué plus haut ce danger ; il pourrait se réaliser même sans un projet formel de la part de la cour d’Espagne. Il suffirait que quelque commandant imprudent commît quelque acte d’hostilité, pour mettre les deux nations aux mains avant même qu’on eût pu en être informé en Europe, et prévenir la rupture.

Je conclus de cette discussion, que notre situation ne nous permet pas d’embrasser ce plan de précautions, trop approchantes de l’état d’hostilité, et qu’il faut se borner à des précautions qui, sans nous compromettre, sans user nos forces, sans appeler le danger, nous mettent en état de connaître à temps les vues de nos rivaux, d’agir au moment nécessaire de la manière la plus avantageuse, suivant les circonstances, et d’en imposer par des forces effectives et prêtes au besoin.

Ces précautions sont indiquées dans le Mémoire qui m’a été communiqué. La base en est l’observation exacte et vigilante des événements, ainsi que des desseins et des préparatifs de la Grande-Bretagne. M. de Vergennes a pris les mesures les plus sages pour