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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/620

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beaux-arts croissent-elles arrosées de sang ? Un jour viendra, et ce jour n’est pas loin, qu’elles embelliront toutes les contrées de l’Europe.

Temps, déploie tes ailes rapides ! Siècle de Louis, siècle des grands hommes, siècle de la raison, hâtez-vous ! Déjà dans les troubles de l’hérésie, la fortune des États longtemps agitée a achevé, comme par une dernière secousse, de prendre une raisonnable fixité. Déjà l’étude opiniâtre de l’antiquité a remis les esprits au point où elle s’était arrêtée. Déjà cette multitude de faits, d’expériences, d’instruments, de manœuvres ingénieuses que la pratique des arts accumulait depuis tant de siècles, a été tirée de l’obscurité par l’impression. Déjà les productions des deux mondes, rassemblées sous les yeux par un commerce immense, sont devenues le fondement d’une physique inconnue jusque-là, et dégagée enfin des spéculations étrangères. Déjà, de tous côtés, des regards attentifs sont fixés sur la nature. Les moindres hasards, mis à profit, enfantent les découvertes. Le fils d’un artisan, dans la Zélande, assemble en se jouant deux verres convexes dans un tube : les limites de nos sens sont reculées, et dans l’Italie les yeux de Galilée ont découvert un nouveau ciel. Déjà Képler, en cherchant dans les astres les nombres de Pythagore, a trouvé ces deux fameuses lois du cours des planètes, qui deviendront un jour, dans les mains de Newton, la clef de l’univers. Déjà Bacon a tracé à la postérité la route qu’elle doit suivre.

Quel mortel ose rejeter les lumières de tous les âges, et les notions même qu’il a crues les plus certaines ? Il semble vouloir éteindre le flambeau des sciences pour le rallumer lui seul au feu pur de la raison. Veut-il imiter ces peuples de l’antiquité chez lesquels c’était un crime d’allumer à des feux étrangers celui qu’on faisait brûler sur l’autel des dieux ? Grand Descartes ! s’il ne vous a pas été donné de trouver toujours la vérité, du moins vous avez détruit la tyrannie de l’erreur.

La France, que l’Espagne et l’Angleterre ont déjà devancée dans la gloire de la poésie, la France, dont le génie n’achève de se former que lorsque l’esprit philosophique commence à se répandre, devra peut-être à cette lenteur même l’exactitude, la méthode, le goût sévère de ses écrivains. Les pensées subtiles et recherchées, le pesant étalage d’une érudition fastueuse, corrompent encore notre littérature. Étrange différence de nos progrès dans le goût et de ceux des anciens ! L’avancement réel de l’esprit humain se décèle jusque dans ses égarements. Les caprices de l’architecture gothique n’appartiennent point à ceux qui n’ont que des cabanes de bois ; l’acquisition des connaissances chez les premiers hommes, et la formation du goût, marchaient pour ainsi dire du même pas. De là une rudesse grossière, une trop grande simplicité, était leur apanage. Guidés par l’instinct et l’imagination, ils saisirent peu à peu ces rapports entre l’homme et les objets de la nature, qui sont les seuls fondements du beau. Dans les derniers temps, où malgré l’imperfection du goût, le nombre des idées et des connaissances était augmenté, où l’étude des modèles et des règles avait fait perdre de vue la nature et le sentiment, il fallait revenir par la perfection au point où les premiers hommes avaient été conduits par un instinct aveugle ; et qui ne sait que c’est là le suprême effort de la raison ?

Enfin toutes les ombres sont dissipées. Quelle lumière brille de toutes parts ! Quelle foule de grands hommes dans tous les genres ! Quelle perfection de la raison humaine ! Un homme, Newton, a soumis l’infini au calcul ; a dévoilé les propriétés de la lumière qui, en éclairant tout, semblait se