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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/619

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au même but, à relever l’esprit humain de ses ruines. Ainsi pendant la nuit on voit les étoiles se lever successivement ; elles s’avancent Chacune sur leur cercle ; elles semblent, dans leur révolution commune, entraîner avec elles toute la sphère céleste, et nous amener le jour qui les suit. L’Allemagne, le Danemarck, la Suède, la Pologne, par les soins de Charlemagne et des Othon, la Russie par le commerce avec l’empire des Grecs, cessent d’être des forêts incultes. Le christianisme, en rassemblant ces sauvages épars, en les fixant dans des villes, va tarir pour jamais la source de ces inondations tant de fois funestes aux sciences. L’Europe est encore barbare ; mais ses connaissances, portées chez des peuples plus barbares encore, sont pour eux un progrès immense. Peu à peu les mœurs apportées de la Germanie dans le midi de l’Europe disparaissent. Les nations, dans les querelles des nobles et des princes, commencent à se former les principes d’un gouvernement plus fixe, à acquérir, par la variété des circonstances où elles se trouvent, le caractère particulier qui les distingue. Les guerres contre les Musulmans dans la Palestine, en donnant à tous les États de la chrétienté un intérêt commun, leur apprennent à se connaître, à s’unir, jettent les semences de cette politique moderne par laquelle tant de nations semblent ne composer qu’une vaste république. Déjà on voit l’autorité royale renaître en France ; la puissance du peuple s’établir en Angleterre ; les villes d’Italie se former en républiques et présenter l’image de l’ancienne Grèce ; les petites monarchies d’Espagne chasser les Maures devant elles, et se rejoindre peu à peu dans une seule. Bientôt les mers, qui jusque-là séparaient les nations, en deviennent le lien par l’invention de la boussole. Les Portugais à l’orient, les Espagnols à l’occident, découvrent de nouveaux mondes. L’univers est enfin connu. Déjà le mélange des langues barbares avec le latin a produit, dans la suite des siècles, de nouvelles langues ; tandis que l’italienne, moins éloignée de leur source commune, moins mêlée avec les langues étrangères, s’élève la première à l’élégance du style et aux beautés de la poésie. Les Ottomans, répandus dans l’Asie et dans l’Europe avec la rapidité d’un vent impétueux, achèvent d’abattre l’empire de Constantinople, et dispersent dans l’Occident les faibles étincelles des sciences que la Grèce conservait encore.

Quel art naît tout à coup comme pour faire voler en tous lieux les écrits et la gloire des grands hommes qui vont paraître ? Que les moindres progrès sont lents en tous genres ! Depuis deux mille ans les médailles présentent à tous les yeux des caractères imprimés sur l’airain, et après tant de siècles un particulier obscur soupçonne qu’on peut en imprimer sur le papier. Aussitôt les trésors de l’antiquité, tirés de la poussière, passent dans toutes les mains, pénètrent dans tous les lieux, vont porter la lumière aux talents qui se perdraient dans l’ignorance, vont appeler le génie du fond de sa retraite.

Les temps sont arrivés. Sors, Europe, de la nuit qui te couvrait. Noms immortels des Médicis, de Léon X, de François Ier, soyez consacrés à jamais ! Que les bienfaiteurs des arts partagent la gloire de ceux qui les cultivent ! Je te salue, ô Italie ! heureuse terre, pour la seconde fois la patrie des lettres et du goût, la source d’où leurs eaux se sont répandues pour fertiliser nos régions. Notre France ne regarde encore que de loin tes progrès. Sa langue, encore infectée d’un reste de barbarie, ne peut les suivre. Bientôt de funestes discordes déchireront l’Europe entière. Des hommes audacieux ont ébranlé les fondements de la foi et ceux des empires : les tiges fleuries des