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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/641

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Scythes, les Gètes, les Huns, les Turcs, les Tartares, les Mogols, les Mantchous, les Kalmoucks, les Arabes, les Bédouins, les Berebères, etc.

Toutes les conquêtes n’ont pas été également étendues ; ce qui n’a pas arrêté cent mille hommes en a arrêté dix mille : ainsi il y a eu un bien plus grand nombre de petites conquêtes renfermées dans les pays coupés. Les révolutions ont dû y être beaucoup plus fréquentes, les nations ont dû y être plus mêlées. Les fleuves, et encore plus les chaînes de montagnes et la mer, ont formé des barrières impénétrables pour un grand nombre de ces Attila manques. Ainsi, entre des chaînes de montagnes, des fleuves, des mers, les petits peuples dispersés se sont réunis, fondus ensemble par des révolutions multipliées. Leurs langues, leurs mœurs ont formé par un mélange intime comme une couleur uniforme.

Au delà de ces premières barrières naturelles, les conquêtes ont été plus vastes et le mélange moins fréquent.

Des coutumes et des dialectes particuliers forment diverses nations. Tout obstacle qui diminue la communication, et par conséquent la distance qui est un de ces obstacles, fortifie les nuances qui séparent les nations ; mais en général les peuples d’un continent se sont mêlés ensemble, du moins médiatement : les Gaulois avec les Germains, ceux-ci avec les Sarmates, et ainsi jusqu’aux extrémités que de grandes mers ne séparent point. De là ces coutumes et ces mots communs à des peuples fort éloignés et fort différents, il semble que, m’imaginant comme des bandes colorées qui traversent en tout sens toutes les nations d’un continent, je vois les langues, les mœurs, les figures mêmes, former une suite de dégradations sensibles ; chaque nation est la nuance entre les nations ses voisines. Tantôt toutes les nations se mêlent, tantôt l’une porte à l’autre ce qu’elle a elle-même reçu. Mais presque toutes ces révolutions sont ignorées ; elles ne laissent pas plus de traces que les tempêtes sur la mer. Ce n’est que quand elles ont embrassé dans leur cours des peuples policés, que la mémoire s’en est conservée.

Les peuples pasteurs qui se sont trouvés dans des pays fertiles ont sans doute passé les premiers à l’état de laboureurs. Les peuples chasseurs, qui sont privés du secours des bestiaux pour engraisser les terres et pour faciliter les travaux, n’ont pu arriver sitôt au labourage. S’ils cultivent quelque terrain, c’est en petite quantité ; quand il est épuisé, ils portent leur habitation ailleurs ; et s’ils peuvent quitter la vie errante, ce n’est que par des progrès infiniment lents.

Les laboureurs ne sont pas naturellement conquérants, le travail de la terre les occupe trop ; mais, plus riches que les autres peuples, ils ont été obligés de se défendre contre la violence. De plus, la terre nourrit chez eux bien plus d’hommes qu’il n’en faut pour la cultiver. De là des gens oisifs ; delà les villes, le commerce, tous les arts d’utilité et de simple agrément ; de là les progrès plus rapides en tout genre, car tout suit la marche générale de l’esprit ; de là une habileté plus grande dans la guerre que celle des barbares ; de là la séparation des professions, l’inégalité des hommes ; l’esclavage rendu domestique, l’asservissement du sexe le plus faible (toujours lié avec la barbarie augmentant leur dureté en raison de l’augmentation des richesses. Mais en même temps naît une étude plus approfondie du gouvernement.

Les habitants des villes, plus habiles que ceux de la campagne, les assujettirent plus ; ou plutôt un village qui, par sa situation, devenait le centre