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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/730

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XXIV. Mais j’éprouve une perception composée de la répétition des perceptions précédentes, et de l’association de quelques circonstances qui lui donnent plus de force, et semblent lui donner plus de réalité : j’ai la perception j’ai vu un arbre, jointe à la perception j’étais dans un certain lieu : j’ai celle j’ai retourné dans ce lieu, j’ai vu cet arbre ; j’ai retourné encore dans le même lieu, j’ai vu le même arbre, etc. Cette répétition, et les circonstances qui l’accompagnent, forment une nouvelle perception : je verrai un arbre toutes les fois que j’irai dans ce lieu : enfin, il y a un arbre.

XXIV. 1o Qu’entend Maupertuis par ces mots : Donner plus de réalité ? À l’aide de cette équivoque, il fait bien des sophismes.

2o Il s’agit d’un raisonnement, et non pas d’une perception nouvelle. Il faut donc examiner si ce raisonnement est bon. Et nous reconnaissons qu’il l’est, quand les impressions que ces objets font sur nous partent d’un centre commun ; quand, en les suivant jusqu’à leur origine, nous remontons à une cause commune.

Le tact qui sent par la résistance d’un objet aux mouvements de notre corps, la vue qui vient de la réflexion de la lumière par la surface des corps, cette suite de perceptions d’un même objet en divers temps et en diverses circonstances, dont les ressemblances et les différences paraissent également fondées sur l’existence d’un objet toujours le même, ou en différents états : tout cela prouve l’existence de cet objet ; et les gestes dont j’ai parlé ci-dessus prouvent que naturellement nous disons : « Voilà un objet hors de nous, qui est la source de nos sensations. »

3o Je ne vois pas comment Maupertuis a pu s’imaginer que cette idée, il y a un arbre, vint de celles qu’il rapporte. Il est bien vrai que c’est ainsi que l’on prouve l’existence des corps, mais ce n’est point ainsi qu’a pu naître l’idée forte que nous avons de leur existence. Une idée née d’un raisonnement ne porte pas avec soi le degré de sentiment qui nous entraîne à dire : « Voilà un corps. »

Ceci réfute assez ce que va dire Maupertuis dans l’article XXV, et qui n’est qu’un petit sophisme. Je soutiens hardiment que, même en supposant que je n’eusse vu qu’une fois chaque objet, la proposition il y a pourrait bien paraître douteuse à ma raison, mais elle n’en eût pas moins été la proposition le plus tôt prononcée par voie de sensation entraînante.

XXV. Cette dernière perception transporte pour ainsi dire sa réalité sur son objet, et forme une proposition sur l’existence de l’arbre comme indépendante de moi. Cependant on aura peut être beaucoup de peine à y découvrir rien de plus que dans les propositions précédentes, qui n’étaient que des signes de mes perceptions. Si je n’avais eu jamais qu’une seule fois chaque perception je vois un arbre, je vois un cheval, quelque vives que ces perceptions eussent été, je ne sais pas si j’aurais jamais formé la proposition il y a, si ma mémoire eût été assez vaste pour ne point craindre de multiplier les signes de mes perceptions, et que je m’en fusse tenu aux expressions simples A B C D, etc., pour chacune, je ne serais jamais parvenu à la proposition il y a, quoique j’eusse eu toutes les mêmes perceptions qui me l’ont fait prononcer. Cette proposition ne serait-elle qu’un abrégé de toutes les perceptions, je vois, j’ai vu, je verrai, etc. ?

XXV. 1o Maupertuis suppose partout que nous cherchons des mots pour nos perceptions. Au contraire, ce sont les choses que nous cherchons surtout à exprimer.

2o Je trouve sa question adroite ; mais, en convenant que si l’on ne parle