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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/744

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d’autres simplement probables, et quelques-unes évidemment fausses, étudier les caractères qui distinguent les unes des autres, pour apprendre sinon à ne se tromper jamais, du moins à se tromper rarement. Dans cette vue, nous allons proposer quelques règles de critique, d’après lesquelles on pourra vérifier ses propres conjectures et celles des autres. Cette vérification est la seconde partie et le complément de l’art étymologique.

Principes de critique pour apprécier la certitude des étymologies.

La marche de la critique est l’inverse, à quelques égards, de celle de l’invention : tout occupée de créer, de multiplier les systèmes et les hypothèses, celle-ci abandonne l’esprit à tout son essor, et lui ouvre la sphère immense des possibles ; celle-là, au contraire, ne paraît s’étudier qu’à détruire, à écarter successivement la plus grande partie des suppositions et des possibilités ; à rétrécir la carrière, à fermer presque toutes les routes, et à les réduire, autant qu’il se peut, au point unique de la certitude et de la vérité. Ce n’est pas à dire pour cela qu’il faille séparer dans le cours de nos recherches ces deux opérations, comme nous les avons séparées ici, pour ranger nos idées sous un ordre plus facile : malgré leur opposition apparente, elles doivent toujours marcher ensemble dans l’exercice de la méditation ; et bien loin que la critique, en modérant sans cesse l’essor de l’esprit, diminue sa fécondité, elle l’empêche au contraire d’user ses forces, et de perdre un temps utile à poursuivre des chimères : elle rapproche continuellement les suppositions des faits ; elle analyse les exemples, pour réduire les possibilités, et les analogies trop générales qu’on en tire, à des inductions particulières et bornées à certaines circonstances ; elle balance les probabilités et les rapports éloignés par des probabilités plus grandes et des rapports plus prochains. Quand elle ne peut les opposer les uns aux autres, elle les apprécie ; où la raison de nier lui manque, elle établit la raison de douter. Enfin elle se rend très-difficile sur les caractères du vrai, au risque de le rejeter quelquefois, pour ne pas risquer d’admettre le faux avec lui.

Le fondement de toute la critique est un principe bien simple, que toute vérité s’accorde avec tout ce qui est vrai ; et que réciproquement ce qui s’accorde avec toutes les vérités est vrai : de là suit qu’une hypothèse, imaginée pour expliquer un effet, peut être regardée comme en étant la véritable cause lorsqu’elle explique toutes les circonstances de l’effet, dans quelque détail qu’on analyse ces circonstances et qu’on développe les corollaires de l’hypothèse.

On sent aisément que, l’esprit humain ne pouvant connaître qu’une très-petite partie de la chaîne qui lie tous les êtres, ne voyant de chaque effet qu’un petit nombre de circonstances frappantes, et ne pouvant suivre une hypothèse que dans ses conséquences les moins éloignées, le principe ne peut jamais recevoir cette application complète et universelle, qui nous donnerait une certitude du même genre que celle des mathématiques. Le hasard a pu tellement combiner un certain nombre de circonstances d’un effet, qu’elles correspondent parfaitement avec la supposition d’une cause qui ne sera pourtant pas la vraie. Ainsi l’accord d’un certain nombre de circonstances produit une probabilité, toujours contrebalancée par la possibilité du contraire dans un certain rapport, et l’objet de la critique est de fixer ce rapport. Il est vrai que l’augmentation du nombre des circonstances augmente la probabilité de la cause supposée, et diminue la probabilité du hasard contraire, dans une progression tellement rapide, qu’il ne faut pas beaucoup de termes pour met-