Aller au contenu

Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/757

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les acceptions du mot, il arrive qu’on n’roui pi end, dans le fait, aucun des caractères qui distinguent la chose de toute autre, et que par conséquent on ne définit rien.

Le premier défaut est très-commun, surtout quand il s’agit de ces mots qui expriment les idées abstraites les plus familières, et dont les acceptions se multiplient d’autant plus par l’usage fréquent de la conversation, qu’ils ne répondent à aucun objet physique et déterminé qui puisse ramener constamment l’esprit à un sens précis. Il n’est pas étonnant qu’on s’arrête à celle de ces acceptions dont on est le plus frappé dans l’instant où l’on écrit, ou bien qui est la plus favorable au système qu’on a entrepris de prouver. Accoutumé, par exemple, à entendre louer l’imagination comme la qualité la plus brillante du génie ; saisi d’admiration pour la nouveauté, la grandeur, la multitude, et la correspondance des ressorts dont sera composée la machine d’un beau poëme, un homme dira : « J’appelle imagination cet esprit inventeur qui sait créer, disposer, faire mouvoir les parties et l’ensemble d’un grand tout. » il n’est pas douteux que si, dans toute la suite de ses raisonnements, l’auteur n’emploie jamais dans un autre sens le mot imagination (ce qui est rare), l’on n’aura rien à lui reprocher contre 1 exactitude de ses conclusions : mais qu’on y prenne garde, un philosophe n’est point autorisé à définir arbitrairement les mots ; il parle à des hommes pour les instruire ; il doit leur parler dans leur propre langue, et s’assujettir à des conventions déjà faites, dont il n’est que le témoin, non pas le juge. Une définition doit donc fixer le sens que les hommes ont attaché à une expression, et non lui en donner un nouveau. En effet, un autre jouira aussi du droit de borner la définition du même mot (imagination) à des acceptions toutes différentes de celles auxquelles le premier s’était fixé. Dans la vue de ramener davantage ce mot à son origine, il croira y réussir en l’appliquant au talent de présenter toutes ses idées sous des images sensibles, d’entasser les métaphores et les comparaisons. In troisième appellera imagination cette mémoire vive des sensations, cette représentation fidèle des objets absents, qui nous les rend avec force, qui nous tient lieu de leur réalité, quelquefois même avec avantage, parce qu’elle rassemble sous un seul point de vue tous les charmes que la nature ne nous présente que successivement. — Ces derniers pourront encore raisonner très-bien, en s’attachant constamment au sens qu’ils auront choisi ; mais il est évident qu’ils parleront tous trois une langue différente, et qu’aucun des trois n’aura fixé toutes les idées qu’excite le mot imagination dans l’esprit des Français qui l’entendent, mais seulement l’idée momentanée qu’il aura plu à chacun d’eux d’y attacher.

Le second défaut est né du désir d’éviter le premier. Quelques auteurs ont bien senti qu’une définition arbitraire ne répondait pas au problème proposé, et qu’il fallait chercher le sens que les hommes attachent à un mot dans les différentes occasions où ils l’emploient. Or, pour y parvenir, voici le procédé qu’on a suivi le plus communément. On a rassemblé toutes les phrases où l’on s’est rappelé d’avoir vu le mot qu’on voulait définir ; on en a tiré les différents sens dont il était susceptible, et on a tâché d’en faire une énumération exacte. On a cherché ensuite à exprimer, avec le plus de précision qu’on a pu, ce qu’il y a de commun dans toutes ces acceptions différentes que l’usage donne au même m ;>t ; c’est ce qu’on a appelé le sens le plus général du mot ; et, sans penser que le mot n’a jamais eu ni pu avoir, dans aucune occasion, ce prétendu sens, on a cru en avoir donné la définition exacte. Je ne ci-