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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/765

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v. 40. Cette sorte d’expression superflue est extrêmement commune en hébreu ; nous l’avons même en français, filer du fil. Il n’y a là aucune emphase affectée, comme on l’a imaginé ; nous dirions : vous avez fait pousser ses racines. Mais le génie de la langue hébraïque demande ici une attention particulière. Lesveabes hébreux, dans l’origine, n’ont point été composés comme les latins et les grecs, par la conjugaison de la racine avec le verbe substantif. Quand on a commencé à les former, les abstractions du verbe substantif n’étaient pas vraisemblablement assez familières pour avoir des noms particuliers ; c’est pour cela qu’on s’est servi des pronoms pour désigner les personnes, et que les verbes hébreux ont une terminaison masculine et une féminine, parce que les pronoms sont différents pour les deux sexes. À l’égard des temps, un léger changement dans le mot radical en marquait la différence. On suivit cette route une fois tracée, et l’on forma ainsi les différentes acceptions des verbes ; celles qui expriment une action réciproque, s’expriment suivant le paradigme hithpahel. Le sens qui répond au latin justificare est celui de la conjugaison hiphil. On voit bien que le génie du latin, formé après les expressions des idées abstraites, exprime tout par leur combinaison, facere justum, justificare…. L’hébreu, plus ancien, a été forcé de modifier la racine même des actions relatives, et pour les exprimer on modifia le nom de la chose avec laquelle elles avaient rapport. Avant qu’on fût familiarisé avec l’idée abstraite faire, il était plus court de dire filer, que faire du fil. Il se forma ainsi une analogie : l’imagination accoutumée à la suivre, dira plutôt raciner ses racines, parce qu’il n’y a qu’une idée, qu’elle n’ira chercher ces deux idées de pousser ou de jeter des racines. — Communément on ne joindra point le verbe avec le nom pour éviter le pléonasme : on dira tout simplement filer. Mais, si on voulait exprimer que le fil est blanc, il faudrait dire, filer du fil blanc. Ici, dans radicari radices ejus, c’est le ejus qui rend le pléonasme nécessaire ; sans cela, on n’aurait mis que wathascheresch. — Osculetur me osculo oris sui ; c’est encore là oris sui, qui rend le pléonasme nécessaire.

5o Schamaïm thakin emounatheka dahem. Cœli, posuisti veritatem tuam in eis, et non pas in cœlis posuisti veritatem tuam. Ps. 89, v. 3. Ce tour d’expression si commun, en hébreu, qu’on le trouve encore trois fois dans ce même psaume, exprime bien la marche naturelle de l’imagination. L’objet qui la frappe le premier est d’abord désigné en nominatif, parce qu’on ne sait pas encore quelle modification il faudra lui donner pour l’accorder avec le reste de la phrase. C’est le mot posuisti qui détermine le cas in eis, pour dire in cœlis. Pour éviter cette construction, il faut en quelque sorte voir d’un coup d’œil toutes les idées qui entrent dans la phrase, il faut être familiarisé avec les adverbes, les régimes, et toutes les expressions des idées abstraites. C’est ce que les hommes encore grossiers qui, en formant les premières langues, en ont déterminé le génie, ne pouvaient faire. Ils ne prévenaient point les idées que la suite du discours peut amener. Dans les langues modernes, nous sommes si familiarisés avec les expressions des idées abstraites, comme les articles, les pronoms, les relatifs, les adverbes, les verbes auxiliaires, que notre construction, où le nominatif précède toujours le verbe, nous paraît plus naturelle, quoiqu’elle nous oblige de rejeter l’idée qui nous frappe la première pour en aller chercher une purement abstraite. — C’est ce qui fait que ceux qui pensent en se représentant les objets à l’imagination, s’expriment souvent avec moins de facilité que ceux qui pen-