Aller au contenu

Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/766

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sent par la liaison des signes des idées ; et il est vrai que plus les langues ont fait de progrès, plus elles donnent d’exercice à cette dernière faculté. Celui qui se sert des signes a ses expressions tout arrangées, par une habitude en quelque sorte mécanique ; mais l’homme qui pense par images a, outre le travail de concevoir les idées, celui d’en arranger les expressions selon la grammaire. Si on conçoit ainsi : les cieux, vous avez mis le témoignage de vos promesses en eux, il faut se traduire ensuite soi-même en français : vous avez mis le témoignage de vos promesses dans les cieux.

6o Emounatheka sebiboutheka. Ps. 89. v. 9. On dirait fort bien en français : la vérité vous environne, mais ce ne serait pas le sens de l’hébreu ; emounatheka signifie en cet endroit la fidélité à remplir vos promesses ; quelquefois il veut dire le gage, l’assurance de cette fidélité. On sent que cette interprétation rend la phrase intraduisible dans notre langue. Mais pourquoi ? C’est parce que le mot environne est une métaphore physique qu’on ne peut appliquer à une vertu, à une qualité morale, qu’en personnifiant celle-ci, ou du moins en la regardant comme une espèce de substance. Or, cette personnification n’a pas également lieu dans toutes les langues, ni pour toutes les qualités. Cette variété ne vient pas, comme on pourrait le croire, de la vivacité d’imagination différente chez les peuples différents. Chez toutes les nations on personnifie et on substantifie, si j’ose ainsi parler, tous sortes de qualités morales ; mais il faut pour cela qu’elles puissent s’exprimer par un seul mot : l’assemblage d’idées qui forme une périphrase avertit trop sensiblement que l’idée est>une simple combinaison faite par l’esprit, et l’on ne peut alors supporter de lui voir attribuer, même métaphoriquement, des propriétés qui supposeraient une existence réelle. Pour la métaphore, il faut quelque analogie entre les idées, et il faut du moins que la justesse n’en soit pas détruite dans la phrase même.


EXISTENCE.

(Article extrait de l’Encyclopédie.)

EXISTENCE (s. f. Métaphysique). Ce mot est opposé à celui de néant ; et plus étendu que ceux de réalité et d’actualité, qui sont opposés, le premier à l’apparence, le second à la possibilité simple ; il est synonyme de l’un et de l’autre comme un terme général l’est des termes particuliers qui lui sont subordonnés, et signifie, dans la force grammaticale, l’état d’une chose en tant qu’elle existe.

Mais qu’est-ce qu’exister ? Quelle notion les hommes ont-ils dans l’esprit, lorsqu’ils prononcent ce mot ? et comment l’ont-ils acquise ou formée ? La réponse à ces questions sera le premier objet que nous discuterons dans cet article : ensuite, après avoir analysé la notion de l’existence, nous examinerons la manière dont nous passons, de la simple impression passive et interne de nos sensations, aux jugements que nous portons sur l’existence même des objets, et nous essayerons d’établir les vrais fondements de toute certitude à cet égard.

De la notion de l’existence.

Je pense, donc je suis : disait Descartes. Ce grand homme, voulant élever sur des fondements solides le nouvel édifice de sa philosophie, avait bien