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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/804

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y engager par les louanges : elles rebutent un enfant timide ; elles lui font sentir qu’on l’observe, et le font rentrer en lui-même ; c’est le comble de l’adresse de les placer à propos. Qu’on leur fasse chercher et saisir les occasions d’être secourables ; car c’est un art qui peut et doit s’apprendre, et faute duquel on en perd mille occasions. Je ne parle pas même de la délicatesse avec laquelle on doit ménager les malheureux qu’on soulage, et pour laquelle la bonté naturelle seule, indépendamment de l’usage du monde, ne suffit pas. Mais surtout le grand point de l’éducation, c’est de prêcher d’exemple. Le gros de la morale est assez connu des hommes ; mais toutes les délicatesses de la vertu sont ignorées du grand nombre : ainsi, la plupart des pères donnent, sans le savoir, et même sans le vouloir, de très-mauvais exemples à leurs enfants.

En général, je vois qu’ils leur prêchent leurs défauts comme des vertus ; je vois que partout la première leçon qu’on donne aux enfants, c’est d’être économes et de mépriser les domestiques, parce que les parents regardent ce|a comme une vertu.

On pourrait encore parler sur l’abus de la capitale qui absorbe les provins ces ; et sur la manière pacifique de conquérir que déployaient les Incas en proposant aux peuples étrangers leurs sciences, leurs arts, leurs lois, l’abondance qu’ils avaient fait naître[1]


Lettre III. — À M. de Voltaire. (Paris, 24 août 1761.)

Depuis que j’ai reçu la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, monsieur, un changement qui me concerne a eu lieu ; et j’ai le malheur d’être intendant. Je dis le malheur ; car, dans ce siècle de querelles, il n’y a de bonheur qu’à vivre philosophiquement entre l’étude et ses amis.

C’est à Limoges qu’on m’envoie. J’aurais beaucoup mieux aimé Grenoble, qui m’aurait mis à portée de faire de petits pèlerinages à la chapelle de Confucius, et de m’instruire avec le grand-prêtre. Mais votre ami, M. de Choiseul, a jugé que, pour remplir une place aussi importante, j’avais encore besoin de quelques années d’école : ainsi je n’espère plus vous voir de longtemps, à moins que vous ne reveniez fixer votre séjour à Paris, chose que je désire plus que je n’ose vous la conseiller.

Vous n’y trouveriez sûrement rien qui vaille votre repos, rem prorsus substantialem, disait le très-sage Newton. Vous jouissez de la gloire comme si vous étiez mort, et vous vous réjouissez comme un homme bien vivant : sans être à Paris, vous l’amusez, vous l’instruisez, vous le faites rire ou pleurer selon votre bon plaisir. C’est Paris qui doit aller vous chercher.

Je vous remercie d’avoir pensé à moi pour me proposer de souscrire à l’édition que vous préparez des œuvres du grand Corneille ; et j’ai en même temps bien des excuses à vous faire d’avoir tant tardé à vous répondre : d’abord le désir de rassembler un plus grand nombre de souscriptions ; ensuite les devoirs du premier moment de l’intendance, et sur le tout un peu de paresse à écrire des lettres, ont été les causes de ce retardement. J’en suis d’autant plus fâché que je n’ai à vous demander qu’un petit nombre d’exemplaires, la plus grande partie de mes amis ayant souscrit de leur côté.

Au reste, vous ne devez pas douter que le public ne s’empresse de con-

  1. On n’a pas la fin de cette lettre. (Note de Dupont de Nemours.)