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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/805

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courir à votre entreprise. Indépendamment de 1 intérêt que le nom du grand Corneille doit exciter dans la nation, les réflexions que vous promettez rendront votre édition infiniment précieuse. J’ai cependant appris avec peine de M. d’Argental que vous ne comptez en donner que sur les pièces restées au théâtre. Je sens (pie vous avez voulu éviter les occasions de critiquer trop durement Corneille en élevant un monument à sa gloire. Mais je crois que vous auriez pu balancer avec ménagement ses beautés et ses fautes, sans vous écarter du respect dû à sa mémoire, et que la circonstance prescrit d’une manière encore plus impérieuse : vous avez fait des choses plus difficiles, et je pense que l’examen approfondi des pièces mêmes qu’on ne joue plus, serait une chose utile aux lettres, et surtout aux jeunes gens qui se destinent à l’art. Votre analyse leur apprendrait à distinguer les défauts qui naissent du sujet de ceux qui tiennent à la manière de le traiter. Vous leur indiqueriez les moyens d’en éviter quelques-uns, de pallier les autres : vous leur feriez envisager les sujets manques sous de nouvelles faces, qui leur feraient découvrir des ressources pour les embellir.

L’arrêt du Parlement sur les jésuites, et le réquisitoire qui l’a provoqué, ne vous ont-ils pas réconcilié avec Me Omer[1] ?

Vous allez être bien unis :
Tous deux vous forcez des murailles,
Tous deux vous gagnez des batailles
Contre les mêmes ennemis.

La cour est embarrassée du parti qu’elle prendra. Pour moi, je voudrais qu’on fît à ces pauvres Pères le bien de les renvoyer chacun dans sa famille avec une pension honnête et un petit collet. Il y en a si peu de profès, que les économats ne seraient pas fort surchargés ; les particuliers seraient heureux, le corps n’existerait plus, et l’État serait tranquille.

Adieu, monsieur, je vous réitère toutes mes excuses, et vous prie d’être persuadé que personne n’est, avec un attachement plus vrai, votre très-humble, etc.


Lettre IV. — À M. de C…, sur le livre de l’Esprit. (Limoges, ce…[2].)

Comme je ne crois pas, monsieur, que vous fassiez jamais un livre de philosophie sans logique, de littérature sans goût, et de morale sans honnêteté, je ne vois pas que la sévérité de mon jugement sur le livre de l’Esprit puisse vous effrayer[3]

Il fait consister tout l’art des législateurs à exalter les passions, à présenter partout le tableau de la volupté comme le prix de la vertu, des talents, et surtout de la bravoure ; car on dirait qu’il ne voit de beau que les conquêtes[4].

Je conviens avec vous que ce livre est le portrait de l’auteur. Mais ôtez ce

  1. L’abolition désordre des jésuites eut lieu en 1762, et leur expulsion du royaume en 1764.
  2. Dupont de Nemours n’a pas donné la date de cette lettre, mais il est vraisemblable qu’elle n’est pas de beaucoup postérieure à l’année 1759, époque de la publication du livre de l’Esprit. Il ne l’est pas moins qu’elle ne soit adressée à Condorcet. On verra sans étonnement que Turgot y professe, sur l’ouvrage d’Helvétius, une opinion tout à fait conforme à celle des hommes les plus éclairés de notre siècle. — Voyez plus loin la lettre à l’abbé Morellet, sur l’Histoire des deux Indes, de Raynal. (E. D.)
  3. Il y a ici une lacune. [Note de Dupont de Nemours.)
  4. Il y a ici une seconde lacune. (Note de Dupont de Nemours.)