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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/812

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de la faire imprimer, parce que je me propose d’y joindre quelques notes que mes occupations ne m’ont pas laissé le temps d’achever. Un traducteur doit à son auteur toutes sortes d’hommages ; et je vous prie d’accepter à ce titre une brochure qui certainement ne vous présente aucune idée nouvelle, mais qu’on m’a persuadé pouvoir être utile pour répandre des idées élémentaires sur des objets qu’on ne saurait trop mettre à la portée du peuple[1]. Ce morceau avait été écrit pour l’instruction de deux Chinois que j’avais vus dans ce pays-ci, et pour leur faire mieux entendre des questions que je leur ai adressées sur l’état et la constitution économique de leur empire[2].

Ces questions m’en rappellent d’autres que vous aviez eu la bonté de m’envoyer par M. Hume, et que je n’ai jamais reçues, parce que le paquet, mis à la poste à Paris pour Limoges, où j’étais alors, s’y est perdu. M. Hume vous a sans doute instruit de cet accident et de mes regrets. Je ne vous en dois pas moins de remerciements. S’il vous en restait quelque exemplaire, et si vous vouliez bien réparer ma perte, le moyen le plus sûr serait de le mettre tout simplement à la poste à Londres, à l’adresse de M. Turgot, intendant de Limoges, à Paris.

J’ai un regret bien plus grand de n’avoir pu profiter du voyage que vous avez fait il y a quelques années à Paris, pour avoir l’honneur de faire connaissance avec vous. J’en aurais été d’autant plus flatté, que je vois par vos ouvrages que nos principes sur la liberté et sur les principaux objets de l’économie politique, se ressemblent beaucoup[3]. — Je vous avoue que je ne puis m’empêcher d’être étonné que, dans une nation qui jouit de la liberté de la presse, vous soyez presque le seul auteur qui ait connu et senti les avantages de la liberté du commerce, et qui n’ayez pas été séduit par la puérile et sanguinaire illusion d’un prétendu commerce exclusif. Puissent les efforts des politiques éclairés et humains détruire cette abominable idole, qui reste encore après la manie des conquêtes, et l’intolérance religieuse, dont le monde commence à se détromper ! Que de millions d’hommes ont été immolés à ces trois monstres ! Je vois avec joie, comme citoyen du monde, s’approcher un événement qui, plus que tous les livres des philosophes, dissipera le fantôme de la jalousie du commerce. Je parle de la séparation de vos colonies avec la métropole, qui sera bientôt suivie de celle de toute l’Amérique d’avec l’Europe[4]. C’est alors que la découverte de cette partie du monde nous deviendra véritablement utile. C’est alors qu’elle multipliera nos jouissances bien plus abondamment que quand nous les achetions par des flots de sang. Les Anglais, les Français, les Espagnols, etc., useront du sucre, du café, de l’indigo, et vendront leurs denrées précisément comme les Suisses le font aujourd’hui ; et ils auront aussi, comme le peuple suisse, l’avantage que ce sucre, ce café, cet indigo, ne serviront plus de prétexte aux intrigants pour précipiter leur nation dans des guerres ruineuses, et pour les accabler de taxes. J’ai l’honneur d’être, etc.

  1. La brochure dont il s’agit ici n’était rien moins que les Réflexions sur la formation et la distribution des richesses, ouvrage que nous avons placé en tête du premier volume des œuvres de Turgot. — Voyez, sur Tucker, la note 2 de la page 322 du même volume. (E. D.)
  2. Voyez les Questions sur la Chine, tome I, page 310.
  3. Voyez Questions importantes sur le commerce, tome I, page 322.
  4. Cette prédiction avait été faite déjà par Turgot dans le second Discours en Sorbonne, prononcé le 11 décembre 1750. — Voyez page 602 de ce volume. (E. D.)