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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/813

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Lettre XI. — Au même, sur la liberté du commerce des grains.
(Limoges, le 10 décembre 1773.)

J’ai, monsieur, bien des excuses à vous faire d’avoir été si longtemps à vous adresser les remerciements que je vous dois pour tous les détails que vous avez bien voulu m’envoyer à la prière de mon ami M. Bostock, relativement à la production et au commerce des grains. Je me proposais de vous répondre en anglais, mais je me trouvais alors dans la convalescence d’une attaque de goutte ; et, comme c’est pour moi un assez grand travail que d’écrire dans votre langue, j’avais remis ma réponse à un autre temps. Depuis que je suis revenu dans la province, j’ai eu une foule d’occupations, et je profite de mon premier moment de liberté ; mais comme M. Bostock est présentement à Londres, il pourra vous traduire ma lettre, et par cette raison je vous l’écrirai en français.

Je commence par vous remercier des différentes brochures de votre composition que vous m’avez adressées sur cette matière intéressante. Je suis tout à fait de votre avis sur l’inutilité de la gratification que votre gouvernement a si longtemps accordée en faveur de l’exportation des grains. Mes principes sur cette matière sont, liberté indéfinie d’importer, sans distinction de bâtiments de telle ou telle nation et sans aucuns droits d’entrée ; liberté pareillement indéfinie d’exporter sur toute sorte de bâtiments, sans aucuns droits de sortie et sans aucune limitation, même dans les temps de disette ; liberté dans l’intérieur de vendre à qui l’on veut, quand et où l’on veut, sans être assujetti à porter au marché public, et sans que qui que ce soit se mêle de fixer les prix des grains ou du pain. J’étendrais même ces principes au commerce de toute espèce de marchandises, ce qui, comme vous le voyez, est fort éloigné de la pratique de votre gouvernement et du nôtre.

Je sens, monsieur, toute la justesse de vos observations sur la difficulté de tirer des conséquences des tables qu’on se procurerait du prix des grains, quelque exactes qu’elles pussent être ; une grande partie de ces observations trouveraient leur application en France comme en Angleterre ; car moins le commerce des grains est libre, et plus les variations des prix sont grandes et irrégulières. Malgré cela, je n’en suis pas moins curieux de connaître la marche de ces variations ; ainsi je regarderai toujours des tables exactes comme très-précieuses. Je suis étonné de la difficulté que vous trouvez à m’en procurer dans lesquelles les prix soient exprimés marché par marché, sans être réduits au prix commun. En France, où cet objet est encore plus négligé qu’en Angleterre, et où, dans la plus grande partie des provinces, les archives publiques sont dans le plus mauvais ordre, j’ai trouvé un assez grand nombre de villes où l’on avait conservé l’état des prix de semaine en semaine depuis cent ans et plus. Je n’en demanderais que trois ou quatre de cette espèce pris dans différentes provinces de l’Angleterre, et de préférence dans celles qui sont les plus fertiles en grains.

Je vous avais demandé si les états qu’on insère tous les quinze jours dans le London Chronicle, sous le titre d’Average Price, sont exacts et formés avec soin. Je vous avais demandé en second lieu depuis combien d’années on les rédige sous cette forme, et si l’on pourrait en avoir la collection complète, qui remplirait parfaitement mon objet. Vous ne m’avez pas répondu sur cette question, et je vous serai très-obligé de vouloir bien y répondre. Je vous serai