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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/828

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cours qu’il a jadis prononcés en Sorbonne[1], et dont il n’a d’autre copie complète que celle que vous avez entre les mains. Il vous sera très-obligé d’achever celle que vous lui avez fait espérer.

Je suis ici vraisemblablement pour bien longtemps, car le Limousin souffrira au moins autant de la disette que l’année dernière. L’Angoumois sera bien. Il me sera difficile de remplir pendant ce temps les désirs de M. de Boisgelin et de lui envoyer les livres nouveaux. Il faut pour une pareille commission quelqu’un qui réside constamment à Paris. D’ailleurs, je n’entends pas comment le contre-seing peut servir à M. de Boisgelin. Parme n’est pas une poste française, et je vois même dans l’Almanach royal qu’il faut affranchir les lettres ; cela me met dans l’embarras, car on n’affranchit pour l’étranger qu’à Paris. Pour le plus sûr, j’adresse celle-ci à l’évêque de Lavaur, qui, sans doute, est dans l’habitude d’écrire à son frère. M. de Boisgelin devrait faire adresser ses lettres au directeur de la poste de Gênes, et s’arranger avec lui pour les lui faire passer à Parme.

La situation du P. Jacquier est bien douloureuse et bien intéressante. Il doit y avoir bien peu d’exemples d’une amitié aussi intime, et fondée sur une aussi grande quantité de rapports.

Voici une lettre pour l’abbé Millot, qui m’a écrit pour me remercier des Réflexions sur la richesse. Vous lui avez parlé de la traduction de la Prière de Pope, et il me demande la permission de la copier. Cela ne vaut pas par soi-même la peine d’être donné ni refusé. La seule chose qui m’intéresse, c’est que la chose ne puisse pas être connue sous mon nom.

Adieu, mon cher Caillard : vous connaissez tous mes sentiments. Bien des compliments à MM. de Boisgelin et Melon.


Lettre VII. — Au même. (À Limoges, le 1er janvier 1771.)

J’ai reçu dans son temps, mon cher Gaillard, votre lettre du 10 novembre, à laquelle je me reproche de n’avoir pas plus tôt répondu ; mais une tournée longue dans la montagne, et des occupations malheureusement analogues à celles qui m’ont tenu à Limoges toute l’année dernière, m’ont pris tout mon temps. Il est vraisemblable que je serai encore condamné à passer celle-ci au milieu des Limousins. La disette n’est pourtant que partielle ; l’Angoumois ne souffre pas, et le paysan de Limoges et du bas Limousin a des châtaignes pour le moment, mais le grain est aussi cher que l’an passé, et la montagne manque tout à fait.

Dupont a jugé bien sévèrement M. Melon, et M. Melon le fils a jugé bien sévèrement Dupont. Le sentiment de M. Melon est juste et naturel, mais il n’est pas à la vraie place pour juger. J’aimerais mieux que Dupont n’eût pas dit ce qu’il a dit, parce que je ne pense pas ce qu’il a dit, à beaucoup près, et que j’estime le tour d’esprit de M. Melon le père, malgré les erreurs de son ouvrage. Mais il faut avouer que ces erreurs sont telles, qu’on peut en être très-frappé, et plus que de tout ce qui parle en faveur de l’auteur. Quand j’ai lu l’ouvrage de celui-ci, il gagnait beaucoup dans mon esprit en ce que personne n’avait encore parlé en France de ces matières, du moins en style intelligible. Un homme qui est venu au monde après Montesquieu, Hume,

  1. Les deux Discours en Sorbonne, donnés p. 586 et suiv. de ce volume.