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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/835

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Je pense toujours que M. de Boisgelin ne peut guère éviter de se ressentir de la décision, si elle est en faveur de M. de Felino ; cet homme alors aura bien beau jeu, et j’ai peur qu’il ne trouve de grandes facilités à nuire par les dispositions de notre ministère, aux yeux duquel M. de Boisgelin a un furieux péché originel.

Il me semble que vous pouvez m’instruire ici beaucoup plus facilement que si j’étais à Paris, puisque vos lettres, me venant par le courrier de Toulouse, ne risquent pas d’être ouvertes à la poste.

Vous me parlez de raisons particulières qui vous feraient désirer que je fusse à Paris dans ce moment. Je ne puis les deviner ; si c’est quelque service qu’il s’agisse de vous rendre, marquez-le-moi, et je verrai ce que je pourrai faire.

Adieu, vous connaissez tous mes sentiments.

Copie de la nouvelle lettre de Voltaire à l’abbé de L’Aage, relatée dans la précédente.
22 mai 1771, à Ferney.

Un vieillard accablé de maladies, devenu presque entièrement aveugle, a reçu la lettre du 28 avril, datée de Paris, et n’a point reçu celle de Gênes. Il est pénétré d’estime pour M. l’abbé de L’Aage ; il le remercie de son souvenir, mais le triste état où il est ne lui permet guère d’entrer dans des discussions littéraires. Tout ce qu’il peut dire, c’est qu’il a été infiniment content de ce qu’il a lu, et que c’est la seule traduction en prose, dans laquelle il ait trouvé de l’enthousiasme. Il se flatte que M. de L’Aage le plaindra de ne pouvoir donner plus d’étendue à ses sentiments. Il lui présente ses respects.


Lettre XII. — Au même. (À Limoges, le 24 septembre 1771.)

Il serait, je crois, à présent bien inutile de faire aucune réflexion sur les détails que vous m’avez faits de ce qui se passe dans votre petite cour. J’avais la goutte lorsque j’ai reçu votre lettre ; depuis je me suis cru guéri, j’ai entrepris une tournée dans la montagne ; j’ai été obligé de rebrousser chemin au bout de huit jours. Je ne souffre plus ; mais je ne puis encore marcher. J’ai été étonné de vous savoir resté auprès de M. de Boisgelin, et j’ai peine à croire que vous restiez bien longtemps ; cela m’afflige pour vous qui aviez commencé une carrière agréable, et qui vous trouverez aussi obligé de rebrousser chemin. J’aurai encore une partie de la généralité qui souffrira beaucoup cette année, et c’est pour cela que j’avais entrepris cette tournée.

J’espère que, cependant, je pourrai aller à Paris cet hiver, et j’en suis bien impatient.

Naturellement, une attaque de goutte assez longue, et un voyage dans la montagne, auraient dû avancer Didon ; point du tout. Je vous ai mandé, il y a plusieurs mois, qu’il m’en restait cent quarante-un vers à traduire ; le lendemain, j’en fis cinq pour achever de réunir les deux grands morceaux de la chasse et des discours de Didon et d’Énée. Depuis ce temps-là, il ne m’en est pas venu un seul vers. Vous rappelez-vous d’avoir lu le Déjeuner de la Râpée, du véritable Vadé ? Il y a un homme qui joue des ogres à Saint-Supplice, avec M. Clairgnanbaut ; il se plaignait amèrement de ce qu’il avait beau souffler à ce monsieur le Te Deum, le chien jouait le Tantum ergo ; c’est précisément mon histoire. Avec la meilleure envie du monde d’avancer