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Page:Une Vie bien remplie (A. Corsin,1913).djvu/88

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UNE VIE BIEN REMPLIE

renseignée sur le lieu du combat, car tout Paris savait déjà à midi que l’on se battait sous le Mont-Valérien.

Notre malade était déjà couché quand le médecin arriva, ramené par la jeune fille ; il découvrit le pansement sommaire que l’on avait fait à Suresnes, examina la blessure et dit : ce ne sera rien, dans trois semaines il n’y paraîtra plus ; la balle est entrée par l’omoplate en déchirant les chairs et est ressortie derrière le cou ; les nerfs ont été froissés, de là la grande douleur que vous avez ressentie ; je vais vous faire un pansement ; votre dame pourra le renouveler elle-même ; pendant trois ou quatre jours, je vous conseille de garder le lit ; après cela une quinzaine de repos et vous serez complètement rétabli ; je reviendrai à la fin de la semaine.

Je partis derrière le médecin, après avoir été chaleureusement remercié, et tous les trois me firent promettre de les venir voir en ami ; en me serrant la main, M. Collot me dit : « Mon cher monsieur Cadoret, je considère que la campagne est finie ; que l’on nomme comme on voudra les faits de guerre qui se sont passés, ignorance ou impéritie des grands chefs, c’est encore de la trahison. Le Mont-Valérien pouvait renverser les murs du parc ; il ne l’a pas fait : pourquoi ? Les généraux de l’état-major savaient que les terrains étaient détrempés ; pourquoi n’ont-ils pas pris les mesures nécessaires pour que les canons puissent arriver sur le lieu de l’action ? Partout, autour de Paris, il semble clairement démontré que tous les engagements eurent lieu pour donner satisfaction à l’opinion publique et à cette garde nationale qui criait guerre à outrance ; la monarchie est à la tête de l’armée et elle craint tellement de voir la République proclamée en France qu’elle préfère capituler, trahir et faire tuer du monde ; voilà ce que je pense. Allez ce soir au siège et tâchez de revenir me voir le plus tôt possible et surtout ne m’appelez plus capitaine, mais Collot tout court ; sur ce, je me retirai, bien surpris d’avoir entendu parler mon capitaine comme les plus enragés de la compagnie.

En m’en allant, j’appris que des fractions de bataillons qui avaient participé à l’affaire se groupaient derrière l’église Saint-Laurent ; je m’y rendis et je sus que la retraite avait été sonnée avant la nuit, que les hommes étaient furieux ; il était question de tenir, à 9 heures, une réunion