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Page:Une Vie bien remplie (A. Corsin,1913).djvu/89

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UNE VIE BIEN REMPLIE

des officiers des bataillons de marche et, le lendemain matin, de renverser le gouvernement, d’enlever tous les généraux et de les fusiller.

Je ne sais pas si cette réunion a eu lieu ; ayant les membres fatigués et mourant de faim, je rentrai prendre du repos.

Ce dernier combat termina les opérations militaires ; la capitulation, masquée du nom d’amnisti, eut lieu ; le service actif devenait à peu près nul.

Pendant quinze jours, je visitai plusieurs fois mon blessé et enfin, en février, il était rétabli complètement ; dès lors, il se remit à travailler un peu de son métier d’horloger ; j’étais devenu l’ami de la maison ; je m’instruisais de la conversation ; un jour, nous décidâmes de passer les lignes prussiennes pour aller chercher du pain blanc en banlieue. En arrivant aux halles, nous demandâmes à un jardinier de nous prendre dans sa voiture ; moyennant pourboire, il accepta ; malgré les blouses bleues que nous avions passées sur nos vêtements, on nous fit descendre au poste ennemi situé sur la route de Saint-Denis ; on finit tout de même par passer sur le chemin de fer du Nord ; ce n’est qu’à Cormeille que nous pûmes manger, n’ayant rien trouvé jusque-là, ni pain, ni viande ; en un mot aucune provision.

Nous attendimes jusqu’à quatre heures pour avoir deux pains de quatre livres, que l’on mit dans un sac avec du bœuf, du lard, des haricots, du beurre, des pommes de terre ; le tout pesait bien vingt kilos ; mais le sac nous semblait léger pour faire le trajet jusqu’à Paris (deux ou trois lieues) tant on était heureux de rapporter ces bonnes choses.

Sans être un patriote bien acharné, je dois dire que de rencontrer à chaque instant des soldats prussiens, cela me causait une vive impression, qui bientôt se changeait en colère, en haîne même. Pourtant, ce ne sont pas les soldats qui méritent d’être haïs, mais les rois et empereurs qui font les guerres.

Comme on le pense bien, nous étions attendus avec impatience et sitôt les provisions sorties du sac (j’allais dire le trésor) on décida, séance tenante, de faire cuire un beefteack