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Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 4, 1934.djvu/102

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fondes de la technique générale, tout s’emploie à dénombrer, à assimiler, à niveler, à encadrer, à ordonner cette population interne d’indéfinissables et d’isolés par nature, qui constitue une partie des intellectuels, — l’autre partie, plus aisément absorbable, devant être, d’ailleurs, redéfinie et reclassée.

Quelques remarques éclairciront peut-être ce que je viens d’écrire.

Ce ne fut jamais qu’indirectement que la société put soutenir la vie d’un poète, d’un théoricien, d’un artiste en œuvres lentes et profondes. Elle en fait quelquefois des serviteurs fictifs, des fonctionnaires nominaux, professeurs, conservateurs, bibliothécaires. Mais les corporations se plaignent, le peu d’arbitraire d’un ministre se réduit de plus en plus, la machine a de moins en moins de jeu.

La machine ne veut et ne peut connaître que des « professionnels ».

Comment s’y prendre pour tout réduire en professionnels ?

Que de tâtonnements dans l’entreprise de déterminer les caractères des spécialistes de l’intellect !

Chacun se sert de l’esprit qu’il a. Un manœuvre se sert du sien, par rapport à soi, autant que quiconque, philosophe ou géomètre. Si ses discours nous semblent grossiers et trop simples, les nôtres lui sont étranges ou absurdes, et chacun de nous est un manœuvre pour quelqu’un.