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Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 4, 1934.djvu/103

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Comment en serait-il autrement ? Tout homme, d’ailleurs, parfois rêve, ou s’enivre, ou fait les deux ; et dans ses sommeils comme dans l’ivresse, le brassement de ses images, la liberté de leurs combinaisons inutiles le font Shakespeare, dans une mesure inconnue et inconnaissable. Ce manœuvre, foudroyé de fatigue ou d’alcool, devient théâtre des génies.

Mais, dira-t-on, il ne sait pas s’en servir.

Mais c’est là dire qu’il est un manœuvre par rapport à nous, quoique Shakespeare par rapport à soi. Il ne lui manque, à son réveil, que de connaître le nom même de Shakespeare et la notion de littérature. Il s’ignore en tant qu’inventeur.

Et qui oserait mettre, ou ne pas mettre, dans la catégorie intellectuelle, une devineresse, un ordonnateur de cérémonies, un pitre de foire ?

Qui soutiendra qu’il se dépense plus d’esprit dans une tête que dans une autre ; qu’il en faut plus, et plus de connaissances, pour enseigner que pour spéculer commercialement ou pour créer quelque industrie ?

Il faut se résoudre à patauger dans les exemples. Patauger, quelquefois, c’est aussi faire bondir deux ou trois gouttes de lumière.

Dans les questions qui sont confuses par essence et qui le sont pour tout le monde, je trouve permis, — peut-être louable, — de livrer tels quels les essais, les actes inachevés, les états même rejetés et réfutés de sa pensée.