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Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 4, 1934.djvu/106

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L’opportunité ou la nécessité de donner à l’esprit, sous les espèces de certains hommes, une place définie dans le corps social a, de tout temps, soulevé une difficulté essentielle et invincible en soi. Cette difficulté réside non seulement dans le choix même de la définition, mais encore dans l’obligation de prononcer des jugements inévitables sur la qualité. On se heurte, dans toute tentative, à la question insoluble de la détermination du meilleur. En patois scientifique, on pourrait parler d’aristométrie.

Si tout le monde use de l’esprit qu’il a, il faut d’abord décider qu’il y a des usages de l’esprit qui peuvent servir à distinguer une certaine classe ; mais il faut encore tenir, ou ne pas tenir compte, de la valeur de ces usages, c’est-à-dire des œuvres, et même des recherches en mouvement.

Un mauvais maçon est un maçon. Un mauvais mécanicien est un mécanicien. Mais un artiste improvisé, un savant non reconnu par les autres, un philosophe sans le savoir, un poète selon soi-même, que sont-ils ?

Et que sont un artiste, un savant, un philosophe, un poète pendant la durée de leurs préparations cachées et de leur attente à l’état d’énigmes ?

Descartes commence ses publications dans sa quarante-huitième année ; Sébastien Bach, à cinquante et quelques années. Jusque là, l’un est rentier ex-militaire ; l’autre, organiste d’une église… Deux hommes qui finissent par mettre au jour les œuvres que l’on sait n’ont pu exister, jusqu’au moment de leur éclat, que grâce à l’absence de précision dans les définitions sociales de leur époque.