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Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/200

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Il me reconnaît, comme dans une conspiration, avec des gestes de conjuré. Je lui serre la main et lui lâche mon impression sur sa mine et son costume.

« Je t’aime encore mieux dans les rôles de cape et d’épée, tu sais ! Tu ressembles à un ermite, tu as l’air d’un capucin de baromètre.

— Rôles de cape et d’épée ! fait-il avec un sourire de Tour de Nesle : cinq manants contre un gentilhomme — ce temps-là est passé — c’est maintenant dix sergents de ville contre un républicain, un officier de paix par rue, un mouchard par maison ! On voit bien que tu arrives de Nantes ! Vingtrassello, il n’y a plus qu’à se cacher dans un coin et à rêvasser comme un toqué ou à faire de l’alchimie sociale comme un sorcier… J’ai le costume de la pièce ! »


Il a dit juste, le théâtral !

Le souvenir de la défaite m’est revenu deux ou trois fois hier, pendant que je me promenais, — mais j’ai chassé ce souvenir, je lui ai crié : « Ôte-toi de mon soleil ! »

N’ai-je pas dit une bêtise ? Ne viendra-t-il pas toujours, ce souvenir, jeter son ombre noire et sanglante sur mon chemin ? Il enténèbre déjà ce restaurant !

Nous, qui parlions toujours si haut, voilà que nous parlons tout bas !…

Je n’y pensais plus, je n’en savais rien. Je suis parti le lendemain de la bataille, n’ayant vu que les soldats, la tragédie, le sang ! Je n’ai pas respiré la