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Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/361

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Partout, des reliques fanées : cadres de vieux tableaux, gravures jaunies par le temps… — C’est ce qui lui reste d’avant sa séparation.

Voilà le portrait de mon père, avec les cheveux en toupet comme on les portait quand il était jeune. La tête est presque souriante et pleine. Mais à côté est un dessin qui le représente amaigri et l’œil triste. Ce dessin a été fait quand la vie avait fané et creusé ses traits.

Voici son portefeuille de vieux cuir vert, où il avait écrit des chansons qui avaient la forme de flacons et de gourdes, où il avait aussi laissé dans un des plis une fleur donnée par ma mère…

Cette fleur-là, elle vient de la retirer, et, après l’avoir pressée sur ses lèvres, elle a voulu que j’y appuie les miennes aussi. Je l’ai fait machinalement et avec gêne…

Toutes ces choses, porte-montre d’il y a trente ans, bonnet grec aux roses défraîchies et poudreuses, bouquet aux pétales secs embaumant pour elle le souvenir d’un jour heureux, tout cela est entremêlé de brins de rameau et de buis bénit, même d’images de sainteté, et la pauvre femme joint les mains et regarde le ciel en remuant les miettes du passé.

Elle est restée immobile dans sa douleur depuis le jour où son mari l’a quittée.

J’ai senti le voile des larmes, certes, quand j’ai eu son visage pâle et grave contre le mien, quand elle m’a serré contre sa poitrine amaigrie et tremblante : être faible qui n’avait plus que moi pour s’ap-