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Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/398

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Nous avons notre droit de feuilletage acquis, chez les libraires qui ne voient que nous.

On nous laisse glisser un œil de côté dans les livres nouveaux. Nous pouvons juger — en louchant — toute la littérature contemporaine. Il faut loucher pour couler le regard entre les pages non coupées.

Je dis que nous connaissons toute la littérature contemporaine ; nous ne connaissons que celle coupée ; nous n’en connaissons que la moitié à peu près. Il y en a bien la moitié qui n’est pas coupée.


Moi, j’ai beaucoup de peine — plus qu’un autre, à me tenir au courant des nouveautés, à cause de mon chapeau.

Je le mettais à terre d’abord, mais on croyait que j’allais chanter, on attendait que j’allumasse une chandelle, et l’on se retirait désappointé en voyant que je ne chantais pas — j’avais l’air de promettre et de ne pas tenir.

J’ai dû renoncer à mettre mon chapeau à terre.

Je ne puis, on le voit, suivre les progrès de l’esprit nouveau comme ceux qui peuvent lire des deux mains, — aussi, s’il venait à quelqu’un l’idée de m’accuser d’ignorance, qu’il réfléchisse d’abord avant de me condamner ! J’aurais appris, moi aussi, et je saurais plus que je ne sais, si j’avais pu mettre mon chapeau sur ma tête pendant que je lisais, si je n’avais pas eu les mains liées !…

Avoir les mains liées !… Cela paralyse un homme dans la politique, les affaires ou sous l’Odéon !