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Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/445

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ne voulait pas croire que je mettrais mes épaules sous les fardeaux.

« Je les mettrai, et je soulèverai encore assez lourd, je crois. »

Et j’ai été déménageur ! On m’avait prêté une blouse, une casquette, et envoyé à la Villette.

J’ai failli dix fois m’estropier — ce qui n’est rien ; mais j’ai failli estropier les meubles.

« Espérons que ça ira mieux demain », m’a dit mon homme en me payant le soir.

Le lendemain, j’arrivai brisé ; sous ma chemise, mon épaule était bleue, mais je voyais quelques sous au bout des meurtrissures.

Il était dit que j’aurais encore dans ce métier les mains coupées, et coupées avec un couteau bien sale !

On a cru un instant qu’un bijou avait été volé dans une des maisons où nous avons travaillé, et c’est moi, le portefaix à la main sans calus, qu’on a soupçonné et qu’on allait fouiller !

Le bijou se retrouva, par bonheur.

Mais je partis épouvanté.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ce n’est pas vrai : un bachelier ne peut pas faire n’importe quoi, pour manger ! Ce n’est pas vrai !

Si quelqu’un vient me dire cela face à face, je lui dirai : tu mens ! et je le souffletterai de mes souvenirs ! Ou plutôt je le giflerai pour tout de bon, parce que si un échappé de collège entend cette gifle, il sera peut-être sauvé de l’illusion qui fait croire qu’avec du courage on gagne sa vie. Pas même comme goujat !