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Page:Variétés Tome VII.djvu/108

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de vostre yeau, et pis vous dites au garçon : « Quel fils de putain est ça ? Il nous a donné du vin poussé ! Va-t’en nous querir d’autre vin ! — Messieurs, c’est tout du meilleur. — Quel bougre est ça ? Je te barray sur ta mouffle ! je t’envoyeray voir là-dedans si j’y sis ! Tu n’es pas encore revenu ? » Là-dessus, le pauvre guiable, ayant regardé dans son pot et le voyant plein, emporte son yau et vous raporte en lieu de bon vin. Dame ! je vous laisse à penser s’il est de la confrairie de saint Prix20 ! »

Le charlatan ayant ainsi expliqué l’utilité de sa poudre21, on croyoit qu’il en alloit faire l’experience, quand il changea tout d’un coup de discours pour tenir tousjours son monde d’autant plus en haleine, et se mit à faire une longue digression sur l’experience qu’il avoit acquise par ses voyages, tant par la France qu’autre part, à tirer les dents sans faire aucune douleur. Il n’eust pas plutost achevé la parole, qu’on ouït sortir du milieu de la foule la voix d’un homme qui disoit : « Pardieu ! je voudrois qu’il m’eust cousté dix pistoles et que ce qu’il dit fût


20. C’est-à-dire s’il est pris. Le plus souvent cette locution s’employoit pour un homme marié. V. Oudin, Curiosités françoises.

21. On peut rapprocher de cet éloquent boniment, pour employer l’expression argotique en cours aujourd’hui, les discours que Sorel, dans le Francion (1673, in-12, p. 530 et 562), fait tenir sur le Pont-Neuf à un arracheur de dents et à un charlatan. C’est de la réclame de même force et de même style. Cette ressemblance et quelques autres détails de fait et de forme me donneroient presque à penser que cette histoire du poète Sibus pourroit bien être de Sorel.