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Page:Variétés Tome VII.djvu/109

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vray ! Il y a plus d’un mois que je ne dors ny nuit ny jour, non plus qu’une ame damnée ! » Cette voix estoit celle du poëte, qui prenoit cette occasion de paroistre, ainsi qu’il avoit esté accordé entr’eux. Le charlatan luy dit qu’il falloit donc qu’il eust quelque dent gastée, et qu’il s’approchast. Et pource que Sibus feignoit d’en faire quelque difficulté : « Approchez, vous dis-je, reitera le fin matois ; nostre veuë ne vous coustera rien. Je ne sommes pas si guiable que je sommes noir ; s’il n’y a point de mal, je n’y en mettrons pas. » Nostre petit homme s’avança donc, et l’autre, luy ayant fait ouvrir la bouche et luy ayant long-temps farfouillé dedans, luy dit qu’il ne s’etonnoit pas s’il ne pouvoit dormir ; qu’il avoit deux dents gastées, et que, s’il n’y prenoit garde de bonne heure, il couroit fortune de les perdre toutes. Après plusieurs autres ceremonies que je passeray sous silence, Sibus le pria de les luy arracher ; mais quand ce fut tout de bon, et que des paroles on en fut venu à l’execution, quelque propos qu’il eust fait de gagner ses dix sols de bonne grace, la douleur qu’il sentoit estoit si forte qu’elle luy faisoit à tous momens oublier sa resolution. Il se roidissoit contre son charlatan, il s’ecrioit, reculant la teste en arrière ; puis, quand l’autre avoit esté contraint de le lascher : « Ouf ! continuoit-il, portant la main à sa joue et crachant le sang ; ouf ! il ne m’a point fait de mal ! » C’estoit donc un spectacle assez extraordinaire de voir un homme, les larmes aux yeux, vomissant le sang par la bouche, s’ecriant comme un perdu, protester neantmoins en mesme temps que celuy qui le mettoit en