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Page:Vaulabelle - Histoire des deux restaurations jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe, tome 1.djvu/260

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— 1814 —

classes si nationales, si fortes, et pourtant si dédaignées ; leur concours moins tardif aurait sauvé son empire comme il avait sauvé la République vingt ans auparavant ; mais, jusque-là, il n’avait aperçu les classes laborieuses que du haut des fenêtres de ses palais ou à travers les nuages d’encens dont l’enivraient ses fonctionnaires, ses autorités constituées, tout ce monde officiel qui se renouvelle sans changer jamais, et dont le banal dévouement à tous les puissants et à tous les régimes n’a jamais sauvé ni un pouvoir ni un souverain. « Partout j’ai des plaintes du peuple contre les maires et les bourgeois qui l’empêchent de se défendre, écrivait-il de Soissons, le 13 mars, à son frère Joseph ; je vois la même chose à Paris. Le peuple a de l’énergie et de l’honneur : je crains bien que ce ne soient certains chefs qui ne veulent pas se battre, et qui seront tout sots, après l’événement, de ce qui leur sera arrivé à eux-mêmes.[1] »

Napoléon, à mesure qu’il approchait de la Lorraine, soulevait les populations, organisait des corps de partisans et lançait sur tous les chemins des officiers chargés de provoquer et de généraliser le mouvement. Ce nouveau système de défense devait placer entre l’Allemagne et les puissances alliées l’épaisseur de quinze départements dont l’insurrection, régularisée par Napoléon en personne, soutenue par l’armée qu’il

  1. On lit dans le Journal des opérations du 6e corps pendant la campagne de 1814, par le colonel Fabvier :
    « Dans cette campagne sacrée, où chacun défendait le sol qui l’avait vu naître, chaque jour voyait des scènes nouvelles ou attendrissantes : tantôt, malgré nos efforts, il fallait abandonner aux barbares nos villes, nos villages et leurs habitants ; d’autres fois, nous y rentrions en vainqueurs, et alors, malgré les pillages et les incendies, ces nobles paysans venaient nous offrir leurs dernières ressources. Souvent on voyait, du milieu d’épaisses forêts s’élever des colonnes de fumée : c’étaient des vivres qui cuisaient pour nous ; on les apportait à la faveur de la nuit, à travers mille périls, à nos colonnes harassées. Habitants des campagnes, vous êtes la partie la plus vénérable du peuple français ! Que n’auraient-ils pas fait, ces paysans, si une politique insensée, habituelle au despotisme, ne les eût tenus désarmés de longue main !... »