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Page:Vaulabelle - Histoire des deux restaurations jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe, tome 1.djvu/335

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— 1814 —

Pendant que quelques milliers de valeureux soldats, épuisés par la fatigue et par la faim, débris de plus de 160 bataillons ou escadrons qu’avaient décimés les luttes des deux derniers mois, défendaient ainsi, pied à pied, l’entrée ouverte des faubourgs de Paris[1], le peuple de cette capitale suivait avec une attention inquiète le bruit du canon tiré à ses portes. Selon que les décharges arrivaient plus distinctes ou plus sourdes, selon qu’elles étaient plus répétées ou plus ralenties, l’ennemi, dans la pensée de la foule, gagnait du terrain ou en perdait. Ces alternatives de craintes et d’espérances agitaient la masse des curieux qui, depuis la rue de la Paix jusqu’à la porte Saint-Antoine, occupaient chaque côté des boulevards. Il y avait cependant une notable différence entre l’attitude des groupes, selon qu’ils stationnaient près des quartiers opulents ou près des quartiers populeux. Sur le boulevard des Italiens, devant le café Tortoni, des oisifs des deux sexes, nonchalamment assis sur des chaises, ne prêtaient qu’une oreille distraite aux détonations de l’artillerie des deux armées et regardaient passer d’un œil indifférent les blessés, gardes nationaux[2] ou soldats, que l’on portait aux ambulan-

    Arapiles ; il le portait encore en écharpe. Il avait eu le pouce et l’index de la main gauche fracassés par un coup de feu à la bataille de Leipsick. Enfin, le cheval qu’il montait venait d’être tué ; c’était le cinquième qui tombait mort sous lui depuis l’ouverture de la campagne.

  1. Ce chiffre de 160 bataillons ou escadrons donne une moyenne de 75 hommes par bataillon ou escadron. Cette moyenne est plutôt exagérée qu’amoindrie. Le général Fabvier, dans son Journal des opérations du 6e corps en 1814, donne le relevé des appels faits à différents jours du mois de mars. Le 29, au soir, veille de la bataille, la 8e division (4 régiments) comptait 92 officiers et 745 sous-officiers et soldats : c’était un peu plus de 200 hommes par régiment. La 20e division (4 régiments) présentait 1,200 sous-officiers et soldats et 204 officiers : c’était un officier pour 6 soldats. Il existait des bataillons où il ne restait plus que 25 hommes ; dans d’autres, 13 ; un bataillon du 16e de ligne présentait sur le terrain 1 officier et 5 sous-officiers et soldats. La plupart des officiers se tenaient dans les rangs et se battaient à coups de fusil.
  2. On porte à 6 ou 700 le nombre des gardes nationaux volontaires qui, disséminés par pelotons inégaux, depuis Montmartre jusqu’à la barrière du Trône, prirent uns part active à l’action ; on voyait parmi eux d’anciens soldats