Aller au contenu

Page:Vaulabelle - Histoire des deux restaurations jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe, tome 1.djvu/352

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
347
— 1814 —

foule était énorme ; elle inspirait les craintes les plus sérieuses aux généraux alliés. « Notre inquiétude fut grande tant que dura le défilé, ont dit des officiers russes ; nous redoutions, à chaque pas, de voir s’ébranler l’effroyable masse d’hommes qui se pressait de chaque côté des boulevards ; il leur suffisait de se rapprocher pour nous étouffer ; nos soldats n’auraient pu faire usage de leurs armes. Ce fut seulement en arrivant aux Champs-Élysées que nous commençâmes à respirer ; encore n’étions-nous pas fort tranquilles. » En effet, on voyait, à l’attitude de la majorité des spectateurs, que la population, prise dans sa généralité, ressentait profondément l’abaissement national. Sur plusieurs points, à la vérité, un petit nombre de voix faisaient entendre avec force des cris de colère contre le despotisme impérial et des injures contre l’Empereur ; mais ces insultes et ces cris témoignaient plus de haine contre le régime despotique de l’Empire que de sympathie pour les Alliés. Seuls, les royalistes manifestaient une joie dont les éclats insultaient, non-seulement au deuil, mais à la pudeur publique ; car les cadavres des 4 à 5,000 Français tués la veille, et sur lesquels les Alliés avaient dû passer pendant la nuit et le matin pour entrer dans Paris, étaient encore gisants, sans sépulture, au pied des collines de Belleville et de Chaumont, ou dans les champs de Pantin. La cavalcade dont nous avons dit les inutiles provocations avait pris la tête du cortége : les hommes qui la composaient, heureux et fiers de guider l’ennemi sur les boulevards, se livraient aux démonstrations les plus bruyantes, et, s’adressant tour à tour aux officiers, aux soldats du cortége et aux spectateurs, ils poussaient les cris impies de Vivent les Alliés ! vivent nos libérateurs !

Un incident, remarqué par quelques curieux, signala cette marche. Le grand-duc Constantin, entré dans Paris depuis quelques heures, ne s’était point mêlé à l’état-major général. Placé sur un des bas-côtés du boulevard, il regardait le défilé et causait avec quelques étrangers, lorsque M. Sosthènes de la Rochefou-