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Page:Vaulabelle - Histoire des deux restaurations jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe, tome 1.djvu/351

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— 1814 —

spectateurs pouvaient s’en rendre compte. Le dernier cri de Vive le Roi ! poussé à Paris, remontait à vingt-deux ans, et la masse de la population, depuis dix années, ne connaissait que le cri de Vive l’Empereur ! Les hommes de 45 à 50 ans pouvaient seuls avoir conservé un souvenir fort effacé des princes de l’ancienne famille royale. Aussi les efforts du groupe royaliste n’éveillaient-ils chez les curieux qu’un sentiment de pitié ou de surprise si général, si marqué, que l’enthousiasme des membres les plus résolus de la cavalcade finit par se glacer : une partie d’entre eux, fort embarrassés de leur rôle, mettaient déjà leur cocarde dans leur poche, quand, vers midi et demi, un bruit lointain de fanfares vint leur rendre l’assurance. C’étaient les souverains alliés qui faisaient leur entrée dans la capitale française, à la tête de 50,000 soldats.

Un nombreux détachement de trompettes ouvrait la marche. Un corps épais de cavalerie, dont les hommes marchaient quinze de front, suivait. Les souverains et leur état-major venaient ensuite. Tous les yeux cherchaient Alexandre ; l’instinct public devinait en lui le maître de la situation. Ce prince, revêtu d’un uniforme vert avec des épaulettes d’or, et coiffé d’un chapeau surmonté d’une touffe de plumes de coq, marchait en avant du groupe des généraux, ayant à sa droite le généralissime Schwartzenberg, qui représentait l’empereur d’Autriche, et à sa gauche le roi de Prusse. La figure grave et triste de ce dernier contrastait avec le visage ouvert d’Alexandre, qui souriait à la foule et saluait, en s’inclinant, les femmes qui, du haut des fenêtres, agitaient des mouchoirs blancs à son passage. Derrière eux marchaient en rangs pressés une foule de généraux parmi lesquels on distinguait l’hetmann Platoff, le général Müffling et plusieurs Anglais que signalaient leur habit écarlate et leur petit chapeau plat. Le cortége mit près de cinq heures à défiler ; toutes ces troupes se rendaient aux Champs-Élysées.

Le sentiment qui dominait la foule était la stupeur : cette