Aller au contenu

Page:Vaulabelle - Histoire des deux restaurations jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe, tome 1.djvu/50

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
46
— 1793 - 1799 —

dix ans, étaient accoutumées à regarder la législature comme le pouvoir suprême de la République. Depuis dix ans, les décrets des Assemblées étaient des ordres souverains respectés de tous et partout acceptés avec soumission. Les Conseils, d’ailleurs, avaient leur garde particulière ; les grenadiers qui la composaient étaient nombreux ; tous devaient leur position à la protection des représentants, et ils occupaient les postes les plus rapprochés des deux salles. La reconnaissance, l’habitude du devoir, leurs serments, dans le cas d’un décret de mise hors la loi, ne pouvaient-ils pas l’emporter sur les ordres d’un chef qui, lui-même, ne les commandait précisément qu’en vertu d’un décret rendu seulement la veille ?

Lucien, en annonçant à son frère la marche que prenait la délibération, ajoutait qu’il était nécessaire que tous deux pussent se concerter ; mais, seul au milieu d’une assemblée où tous les esprits étaient exaltés par le sentiment d’un grand péril et par l’indignation, il n’osait quitter le fauteuil de la présidence. Bonaparte donne aussitôt l’ordre à un fort détachement de pénétrer dans la salle et d’enlever le président, que menaçait, disait-il, une bande d’assassins. Le détachement obéit. À la vue des soldats qui se présentent à la porte intérieure de l’enceinte des séances, Lucien se lève, fait signe au détachement de s’arrêter, déclare que, puisque l’Assemblée persiste à accuser son frère, il ne lui appartient pas de conduire le débat, de mettre aux voix une condamnation ; et, posant sur le bureau son manteau, sa ceinture et sa toque, il sort de la salle. Cet incident, que la position du président rendait naturel, ne suspendit pas la séance. Le représentant Chazal monta au fauteuil, et la discussion continua. Les Assemblées sont impuissantes pour l’action : elles délibèrent quand il faudrait frapper. Les deux Bonaparte étaient réunis depuis longtemps, et déjà ils avaient arrêté leur plan d’attaque, que les Cinq-Cents, malgré le nombre des orateurs qui s’étaient succédé à la tribune, cherchaient encore une décision.